Monfils, guadeloupéen et français

                    Réaction de vigilance justifiée ? Susceptibilité excessive ? Interprétation abusive ? Dénonciation judicieuse ? En tout cas, le sang de notre auditrice de la région parisienne ne fait qu’un tour, ce matin-là, quand elle entend parler sur les antenne de RFI, de la performance du « tennisman guadeloupéen » Gaël Monfils.

                    Son commentaire n’est pas tendre : « Comment un journaliste peut-il se permettre de le nommer "guadeloupéen" au lieu de « français »? N'est-il pas le seul à faire honneur à la France en restant le seul en lice alors que tous les autres ont été soit battus, soit ont abandonné avant même de commencer?

                    « Ce sont vous les médias, qui fichez la poisse aux sportifs français (que vous soyez à RFI ou Europe 1...). Vous ne les soutenez jamais… S’il avait été corse ou ch'ti, vous l'auriez dit de la même manière? C'est vrai que vous les journalistes "français", avez tendance à dire quand les "non-français"(qui ne sont pas blancs), gagnent, là ils représentent la France et quand ils perdent soudainement ils redeviennent le Guadeloupéen, le Malien, le Camerounais(dixit Yannick Noah).....

                    « J'en ai marre de vos éternelles allusions grotesques… et pour une radio du monde où la plupart des appels viennent d'Afrique (vu le prix) et dont la majorité des auditeurs sont étrangers, vous me décevez. Je pense que le matin je ferai mieux d'écouter Europe 1, RTL ou France Info, au moins avec eux on est habitué à leurs allusions.

                    « Si Gaël Monfils a écouté votre flash de ce matin, il pourrait vraiment être démotivé à vouloir aller en demi-finale car comme il est "guadeloupéen" pour ne pas dire pas blanc, sa victoire n'intéresse personne d'autre que lui et sa famille et son coach.

                    « De toutes les façons, les "journalistes français" sont réputés pour casser les sportifs français. Et c'est bien pour ça qu'ils ne sont pas au top niveau, même si ils sont bons et performants. Les encouragements vous écorchent la bouche. Jamais vous n'entendrez les USA, la Russie, la Chine ou le Japon, pour ne citer qu'eux, dénigrer leur sportifs, jamais. Les Français n'ont décidément pas la culture de champions et de victoire à tout prix (sic)! Cela me rend malade. »

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                    La charge est rude, non ? Alors, mettons un peu d’ordre dans les raisonnements.

                    Pierre Ganz, directeur de l’antenne « Monde » de RFI, peu suspect de complaisance avec le racisme, retourne du fond du court :

                    « Cette personne est-elle choquée quand on parle de Killy skieur savoyard, de Tabarly marin breton, d’Anquetil coureur normand, de Papin footballeur nordiste, de Lizarazu joueur basque, d’Olmeta le portier corse de l’OM, etc ? La France est composée de régions, dont la Guadeloupe. Le dire n’est pas faire allusion à la couleur de la peau, mais à une origine régionale. Il ne faut pas tout voir à travers le prisme de la France ancienne puissance colonisatrice, raciste etc … même si cela existe. »

                    Si on voulait smasher au filet, on pourrait aussi faire remarquer à l’auditrice que son raisonnement se contredit, et que, précisément, Gaël est qualifié de guadeloupéen, alors qu’il gagne, ce qui mettrait en valeur la Guadeloupe plutôt que la diminuerait. A contrario d’ailleurs, j’ai bien entendu à l’antenne de RFI, lors de sa défaite que « le Français Gaël Monfils avait raté de peu la qualification… »

                    Analysons, donc. Pour notre auditrice, le qualificatif de « guadeloupéen » aurait sous-entendu que « puisqu’il n’est que Guadeloupéen », ce n’est pas la peine que la France le supporte… Le public a heureusement et copieusement démenti cette assertion en le soutenant très fortement : sauf à être vraiment très complexé, il ne faut pas voir le mal partout. Ni supposer toujours le pire.

                    Quant à la propension des journalistes français à dénigrer les champions, j’ai franchement du mal à la voir très répandue : c’est le plus souvent la connivence entre journalistes sportifs et milieux sportifs qui est dénoncée. Un journaliste n’est pas un supporter. Même sportif, même heureux de voir son équipe gagner, il doit rester ouvert aux adversaires, capable d’analyse et de recul, de lucidité sans parti-pris.

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                     Reste que, justifiées ou non, excessives ou non, les sensibilités sur ces questions de racisme font partie, comme l’arbitre au tennis, du fond du jeu. Il faut en tenir compte, et on n’est jamais trop prudent pour ne pas froisser des susceptibilités, même excessives, dont l’histoire peut expliquer la pérennité.

                    Malgré tout, et pour une bonne appréciation des choses, on rappellera qu'avant d'accuser, il faut présupposer, chez chacun, auditeur ou journaliste, oui, même journaliste, la bonne foi.

Loïc Hervouet, médiateur