Arabes, Israéliens et Arabe israélien sur RFI

                    Auditeur de Ziguinchor (Sénégal), et internaute fidèle du site rfi.fr, M. Francis Pretat nous interpelle, ce mercredi 2 juillet, après le flash de 11h30 GMT :

                    « Vous parlez d'un "Arabe israélien" qui a été abattu par un Israélien (après une attaque avec un engin de chantier). Je viens de lire l'article sur votre site: vous écrivez un Palestinien abattu par un soldat. Pourquoi cette différence ?

                   « Je ne comprends pas comment vous pouvez utiliser ces termes d'ordre ethnique (ou culturel) concernant ces sujets particulièrement douloureux. Est-ce un choix de journalistes d'utiliser ces termes, tantôt précis ("arabe") tantôt indéfini ("israélien"). Ou alors précisez systématiquement "arabe " ou "juif" lorsque vous parlez d'Israélien, puisqu'il vous faut mentionner cette différence, mais alors je crains que vos sources ne soient suffisamment précises pour faire ainsi. Votre manière de décrire les faits de violence en Israël m'interroge régulièrement, c'est pourquoi je me décide à vous contacter cette fois-ci. »

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                    Dans un premier temps, le médiateur lui répond sur le fond, d’autant plus volontiers qu’à la différence de beaucoup de messages sur le Proche-Orient, celui-ci ne contient pas d’insultes partisanes :

          Cher auditeur,

          Votre message m'a été transmis et je lui prête une attention toute particulière, car les questions de dénomination des personnes impliquées dans l'actualité sont récurrentes, et pas toujours très simples. Je leur ai consacré plusieurs chroniques sur mon blog.

          Revenons au cas que vous évoquez. Il s'agit bien de cette « attaque au bulldozer » perpétrée à Jérusalem. Sans avoir pu retrouver le flash que vous incriminez, je vous fais tout à fait confiance pour que vous ayez entendu la mention « Arabe israélien » à l'antenne, puis que vous ayez lu sur notre site la mention d'un « Palestinien » abattu par un soldat.

          A dire vrai, si la première mention est (un peu) impropre - il s'agit d'un Arabe vivant en Israël, pas forcément d'un Arabe israélien - elle n'est pas contradictoire avec la seconde: il s'agit bien, d'un Palestinien d'origine, habitant Sour Baher, faubourg arabe de Jérusalem-Est, zone annexée par Israël, donc en territoire israélien de fait, si non de droit. Sans doute les dépêches ont-elles évolué  un peu au fur et à mesure qu'on apprenait les détails de l'événement.

          C'est plus tard en effet que l'on a appris que l'Israélien qui avait abattu le conducteur d'engin meurtrier était un militaire (de passage d'ailleurs, et en civil) qui a pris le pistolet d'un policier pour tuer ce conducteur.

          Votre interrogation sur les appellations est légitime. Elle mérite clarification. Il y a en effet des Arabes israéliens qui vivent et travaillent en Israël, disposent d'ailleurs de droits civiques et de représentation parlementaire. Il n'est donc pas indifférent de savoir si l'attentat à la pelleteuse provient d'un citoyen d'Israël d'origine arabe, ou d'un kamikaze venant de Palestine. En l'occurrence, comme vous le voyez, la réalité est plus complexe encore, puisqu'il s'agit bien d'un Arabe -Palestinien- habitant une zone sous contrôle d'Israël, et donc à ce titre pouvant se déplacer sans restriction sur le territoire de l'Etat hébreu.

          Cette qualification permet à la fois de comprendre les conditions de réalisation de l'attaque, et de préciser qu'il ne s'agit pas d'un kamikaze provenant par exemple de Gaza, en un moment où une trêve de fait fragile mais réelle a été négociée entre le Hamas et Israël.

          Je crois que cette recherche de précision n'implique pas d'a priori ou d'intentions malignes, mais traduit la volonté de donner les éléments de contexte nécessaires à la compréhension complète de l'événement.

          Pour autant, votre vigilance, celle des responsables de la rédaction et des journalistes eux-mêmes est de rigueur pour éviter toute incompréhension ou tout dérapage, même involontaire, lié à la dénomination des personnes impliquées dans l'actualité. La lutte contre les préjugés ou les facilités de stigmatisation passe par cette vigilance.

          Merci de votre message.

          Loïc Hervouet, médiateur

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                    Dès le week-end, M. Pretat poursuit le dialogue :

          "Bonjour et merci pour votre réponse. J'ai bien lu vos explications, mais qui arrivent bien sûr après ce flash très synthétisé et qui m'a interpellé.

          "Vous me confirmez dans vos explications que pour RFI et ses rédacteurs il y a des "Israéliens" (tout court) et des "Arabes israéliens", mais il y a sans doute d'autres qualificatifs possibles pour décrire toutes les personnes qui vivent en Israël, et alors comment décidez vous d'utiliser tel ou tel qualificatif? Je pense qu'en France il y a des Français (tout court) et des Arabes français (je n'entends jamais cela sur vos fréquences !)

          "Je pense fortement que vous avez une grande responsabilité vis à vis de vos auditeurs selon les mots que vous utilisez. Je suis au Sénégal en Casamance (95% de musulmans). De nombreuses personnes ici écoutent et apprécient RFI, mais elles sont aussi très sensibles à ce qui se passe au Moyen-orient. En particulier lorsque vous parlez de "nouvelles colonies" ou de "gel des colonies", les Sénégalais ne comprennent pas que l'on puisse  encore parler  en de tels termes en 2008, sans que la communauté internationale s'émeuve, ni même vos journalistes à chaque fois que vous le relatez.

          "Vous devriez utiliser d'autre termes qui qualifieraient ces colonies  d'illégales et d'inhumaines du point de vue international. Car à vous écouter, ce mot de colonisation est banalisé dans cette région-là !

          "Vu, ou plutôt entendu ici, ce qui se passe en Israël semble être retransmis par vos soins au travers d'une loupe hyper grossissante. C'est sans doute du à la couverture médiatique qui est très sélective et qui ne semble pas donner la même importance (ou droits à l'information) aux personnes selon leur origine.

          "Les faits relatés ci-dessus, sans être courants, se passent aussi ici en Casamance (il y a une rébellion depuis plus de 20 ans) mais vous n'en parlez pas, mis à part quelques analyses (très bonnes) de vos correspondants. Ce que l'on peut appeler « faits divers » ne le sont pas, selon l'endroit où cela se produit.

          "A vous lire, on peut penser que cette personne qui, vous dites, n'est pas kamikaze, a eu le moins qu'on puisse dire un comportement totalement suicidaire et criminel dans sa manière de commettre un tel fait. On peut donc dire que c'est un fait divers.

         "En conclusion, l'information que vous avez faite ce jour là ne me semblait pas nécessaire ou même plutôt néfaste tel que cela a été dit à votre antenne. Selon la sensibilité des uns et des autres, relater ou ne pas relater de tels faits sera interprété de manière très différente.

          "De telles informations relatées de la manière dont vous l'avez fait ne peuvent faire qu'exacerber ces diverses sensibilités et ne peuvent nuire qu'à une espérance de paix pour toutes les personnes vivant dans ces régions.

          "Toutes les radios généralistes se ressemblent (se singent) sur ce plan là. L'équipe de RFI, je n'en doute pas, est ardemment porteuse de la paix dans le monde. Vous devez donc rechercher et innover pour apporter votre contribution dans une nouvelle façon de parler des conflits. »

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                    Après avoir obtenu son accord, j’ai donc publié ci-dessus la réflexion de M. Pretat, parce qu’elle attire notre attention  avec justesse sur l’usage de certains mots très polysémiques, dont la signification est en effet diverse, et dont la perception en tout cas est diverse selon le lieu, ou l’auditeur. Tel est assurément le cas du mot « colonie ». Nous devons y veiller, même si la rapidité de traitement de l’information ne laisse pas toujours l’opportunité de contourner ces difficultés d’usage.

                    Quant à l’information de départ, cette violence d’un conducteur de pelleteuse : est-ce un fait divers sans signification politique, un « coup de folie » ? ou est-ce un « attentat  terroriste » d’un militant de la cause palestinienne ? On peut comprendre que le traitement de l’information ne soit pas le même dans les deux cas, et si la première hypothèse (« folie personnelle ») était avérée, on aurait pu se passer d’indiquer l’origine du meurtrier. Mais est-ce si facile à établir ? L’enquête elle-même peine à le dire. Et l’un des éléments les plus intéressants que j’ai lus dans les commentaires sur cette horrible événement est la description, par un psychiatre des effets de la colonisation israélienne sur le comportement des populations arabes où le « coup de folie » individuel est loin d’être isolé, et constitue même un grave sujet d’inquiétude pour les autorités militaires israéliennes confrontées à l’imprévisible…

                    Avec vous en effet, l’équipe de RFI pense que tout cela ne peut que militer en faveur d’avancées rapides vers une paix toujours plus nécessaire.

Loïc Hervouet, médiateur