Afrique, histoire et dérives racistes

                    Dans l’émission du 8 novembre dernier de « L’Ecole des savoirs », était citée comme source d’information le site Africaamat, qui s’est donné pour objectif de traiter de l’histoire de l’Afrique (et s’est accessoirement, sans l’accord de RFI, intitulé « L’Ecole africaine de tous les savoirs »).           

                    Un de nos auditeurs spécialiste de ces questions a vivement réagi pour mettre en garde contre certaines dérives de nature raciste véhiculées par ce site.                    

                    Compte tenu de l’enjeu, nous réservons une large place à ses commentaires et réflexions, qui attirent opportunément l’attention sur les simplifications outrageuses, les masques scientifiques à la théorie raciste, qui renaît et se propage sur tous les continents, quelle que soit la couleur de la peau.

                    A ceux qui auraient pu être abusés, en particulier croire que ce site emportait la caution de RFI, nous présentons nos excuses. L’émission le fera aussi.

                    Et s’il est parfois difficile de tout vérifier, d’appréhender la totalité des contenus sur la toile, et leur pertinence, la leçon sera retenue : exercer l’esprit critique, ce qui, en matière historique, est la base du métier.

                    Loïc Hervouet, médiateur

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          Voici donc ce qu’écrit notre auditeur :

          « L’émission « L’école de tous les savoirs » de ce jour avait pour l’un de ses thèmes celui de l’histoire du continent africain. A ce titre, l’animatrice de l’émission a donné des références à des sites web afin que les jeunes étudiants et auditeurs de l’émission puissent développer leurs réflexions et informations. L’un de ces sites, Africamaat.com, se propose de donner un éclairage nouveau sur l’histoire millénaire du continent africain et d’insister particulièrement sur la grandeur de la civilisation égyptienne ancienne. Ce site a aussi pour but d’éviter toute obstruction à la connaissance des faits historiques en matière d’esclavage euro-atlantique et de colonisations européennes. Il se désigne comme « l’école africaine de tous les savoirs » faisant écho au nom de l’émission sur R.F.I., l’origine africaine en plus.

          « Ces thèmes familiers sont banals dans le milieu africaniste français, même s’ils ne sont par encore connus du grand public. Mais le site Africamaat, sous couvert de scientificité et de lutte contre l’eurocentrisme, va plus loin et est malheureusement le lieu de diffusion de propos à caractère antisémite et/ou raciste qui pourraient être qualifiés « d’incitation à la haine raciale ».

          « R.F.I. vient de diffuser l’adresse de ce site en le présentant comme un site aussi anodin que celui de la Bibliothèque Nationale de France, et je tiens donc à porter à votre connaissance quelques pages disponibles ce jour sur africamaat.com afin que vous vous en fassiez vous-même une opinion.

          « Ainsi, dans l’article intitulé « AfricaMaat : Nous ne voulons pas du Dieu Yahvé et de l’amitié judéo-noire », nous pouvons lire : « Les Aryens avec le Rig Veda et les Juifs avec la Thora semblent avoir introduit les premiers racismes de l’humanité. [...] Ils ont diabolisé la femme et le Noir. »

          « L’article intitulé « AfricaMaat : La férocité Blanche » présente une longue série de photographies d’Africains ou d’Afro-américains victimes de graves exactions : lynchage dans les états sudistes américains à l’époque ségrégationniste, massacres et répression au moment de l’Afrique du sud de l’apartheid, répression coloniale française au Cameroun, etc. Ces images choc reçoivent un éclairage et une explication assez simple : nous pouvons lire « ... la Barbarie du Blanc semble être présente dans presque toute l’histoire humaine ». Je précise, si besoin est, que le terme « Blanc » référe ici à une catégorie raciale dont les individus se voient exposer leurs exactions. Plus loin, nous trouvons quelques « noms de quelques victimes connues du criminel blanc » parmi lesquelles « Patrice Lumumba (Zaïre), Malcom X (USA), Thomas Sankara (Burkina Faso) ... », la liste est longue.

          « Cet amalgame, sans limite dans le temps ou l’espace entre crime, férocité, et une catégorie raciale, celle « du Blanc », me semble de nature à susciter un sentiment de haine, voire de semer les germes du racisme dans certains jeunes esprits.

          « Enfin, dernier extrait de ce site que je propose à votre examen, l’article « AfricaMaat : Extrait du manuel occidental du « Parfait petit falsificateur de l’histoire de l’Afrique noire » », où est exposée une véritable théorie du complot où l’Occident, pris comme un bloc homogène, s’opposera à toute tentative d’écrire la vraie histoire de l’Afrique, notamment l’histoire à la façon Africamaat. Le débat est donc impossible, l’histoire qui n’est pas conforme au vue d’africamaat.com sera automatiquement perçue comme au service de ce complot, quelle que soit l’origine ethnique de l’hérétique.

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           « Bien sûr, le projet initial de l’émission « L’école de tous les savoirs » de ce jour se voulait généreux et ouvert à la diversité, il s’agissait de redonner à l’Afrique toute la gloire de son passé, d’en dénoncer les maux. Il ne m’appartient pas de juger, en tant qu’africaniste, une école de pensée fondée par Cheikh Anta Diop, qui a donné son nom à l’université de Dakar au Sénégal, et a combattu pour ses thèses de l’antériorité et de la supériorité des civilisations négro-africaines. Je suis un partisan résolu de la liberté de penser et de la liberté d’informer !

          « Mais ces libertés viennent rencontrer des limites et ne sauraient se transformer chez les héritiers africanistes de Cheikh Anta Diop en incitation à la haine raciale, en particulier dans les temps troublés que nous vivons à la fois dans le monde et dans nos ville de France où les rapports intercommunautaires n’ont pas besoin d’une tension supplémentaire, ni que R.F.I. participe à la diffusion de la vulgate dite « des théories de la supériorité chamite » qui tourne parfois à l’aigre et se transforme en un racisme primaire comme c’est je crois le cas sur le site en question.

          « Un site fréquemment appelé en argument force par des groupes de haine, comme celui de la Tribu Ka et de son leader Kemi Seba.

          « Bref, à moins d’être terrorisé à l’idée de passer pour un raciste, et de laisser tout se dire, même le plus ignoble, du moment que cela se présente comme un combat contre le racisme », notre auditeur estime de son devoir de lutter contre ce type de références pour des jeunes en formation.

          Car le site avance parfois masqué.

          Sa façade peut rester accueillante: « Hotep - Bienvenue sur Africamaat. Aujourd'hui, chaque peuple, armé de son identité culturelle retrouvée ou renforcée, arrive au seuil de l'ère post-industrielle. Un optimisme africain atavique, mais vigilant, nous incline à souhaiter que toutes les nations se donnent la main pour bâtir la civilisation planétaire au lieu de sombrer dans la barbarie. » Qui irait contre cette citation de Cheikh Anta Diop ?

          Mais le ton peut changer plus loin dans le site, comme le souligne notre auditeur :

          « Une page sur les « révisions » de l’histoire, par exemple, pourrait éventuellement être présentée comme de l'humour à la Dieudonné, mais n'est pas si drôle que cela car elle généralise les attitudes de censure de l'histoire africaine, du racisme anti-noir, et de l'eurocentrisme à l'Occident tout entier et elle suppose que des chercheurs non Occidentaux auraient automatiquement raison de ce fait ce qui exclut tout débat, a fortiori scientifique. Elle ne fait pas non plus la différence entre passé et présent et pourrait susciter des sentiments de haine à l'égard de l'Occident, dans son ensemble.

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           « Certains esprits se voulant kémites sont les équivalents paradoxaux des Aryens du siècle passé. Ils présentent les "leucodermes" (peaux blanches) comme mauvais dans leur essence et ennemis permanents des "mélanodermes" (peaux noires). Cette terminologie raciale et cette idéologie raciste se retrouvent ainsi sur ce site.

          « Heureusement, la majorité des Africains les reconnaît pour ce qu'ils sont et sait démêler le bon grain de l'ivraie, car la majorité n'est jamais aussi extrémiste et a même honte de ces extrêmes. Des écrivains comme Boris Boubacar Diop ou Alain Mabanckou ne se sont jamais fait faute d'écrire que les thèses de la supériorité chamite étaient loin de remporter leur adhésion.

          « Certes Africamaat revendique "virilement" (je cite sa page d'accueil, sympa pour les femmes historiennes) une sorte de théorie du complot, l'Occident serait incapable de produire des connaissances scientifiques non-biaisées sur l'Afrique car il serait raciste, ce de manière essentielle et permanente, mais il y a pourtant de nombreux travaux de qualité sur l'histoire africaine, des chercheurs compétents dont les travaux sont accessibles sur le net et ne présentent pas le défaut de l'afrocentrisme contemporain ou de l'eurocentrisme. Les travaux d'Elikia Mbokolo par exemple...

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          « J'espère que la publication de ma réaction permettra aux lecteurs et jeunes apprenants passionnés par l'histoire ancienne du continent africain de savoir en déjouer les pièges épistémologiques, en premier lieu la partialité et l'idéologie, voire la perpétuation d'une vision raciste obsolète, pour augmenter leurs connaissances sereinement. Il est dommageable de s'en prendre au caractère métisse de la civilisation ancienne de l'Egypte et de lui faire occulter toutes les autres civilisations africaines en les réduisant à elle.

          « Pour conclure sur ce débat, il faut souligner qu'il a été dépassé dans le monde universitaire anglophone, l'encyclopédie en anglais Africana, qui réunit des spécialistes de renommée internationale, Afro-américains et Africains en majorité mais sans esprit d'exclusion, et qui se veut proposer l'instantané érudit de l'état des connaissances sur l'Afrique et ses diasporas souligne bien dans son article « Egypte » que les tentatives de retrouver les origines intellectuelles de la civilisation ancienne de l'Egypte sont largement conjecturales et que les données disponibles montrent une composante moyen-orientale environnée par de composantes africaines. Le langage est policé mais compréhensible, et les lecteurs de cet ouvrage peuvent passer à d'autres aspects de la connaissance d'un continent qui est riche et surprenante! »

          Vigilance, croisement des sources et des regards: ce qui vaut pour l'historien vaut pour le journaliste, l'auditeur, le lecteur et l'étudiant en formation...