Témoignage anonyme, témoignage fiable?

Le 1er octobre dernier, RFI diffusait le témoignage d’un militaire guinéen sur la répression de la manifestation du 28 septembre dans le stade de Conakry. Cet homme racontait, par téléphone, et sans livrer son nom, ce qu’il avait vu, fait, et ressenti. Plusieurs auditeurs et internautes ont fait part de leur doute sur l’authenticité de cette parole. Il est vrai qu’un témoignage anonyme suscite de la méfiance, et qu’aucun journaliste n’est à l’abri d’un manipulateur. Mais en étant prudent, et en respectant quelques règles, le journaliste, et c’est ce qui a été fait, peut s’assurer de la bonne foi de son interlocuteur.  

 Les quelques réactions d’auditeurs-internautes sont à la mesure du choc ressenti à l’écoute de ce témoignage. Le militaire, membre du Bataillon autonome des troupes aéroportées (BATA), était présent dans le stade de Conakry, il confirme les morts, les viols, la récupération de certains corps. Il raconte le désordre, au sein de l’armée, et sa propre peur.
« Etes-vous sûrs que ce témoignage n’est pas un montage ? » demande Aïcha, du Burkina Faso, en ajoutant : « arrêtez votre propagande ». « Ceci n’est que de la propagande », renchérit un internaute anonyme qui écoute RFI aux Etats-Unis, et s’interroge : « comment pouvez-vous vérifier l’appartenance de [cet homme] aux forces armées guinéennes ? » Et de soupçonner un membre de l’opposition de se cacher derrière cette voix. Un auditeur d’Afrique du Sud accuse RFI de « fabriquer de toutes pièces des témoignages… ». Un autre encore, au Burkina Faso, se demande si le journaliste « a vraiment rencontré un soldat ou s’il a créé son interview ». Et puis cette suggestion laconique, venue de Guinée : « Le militaire en question peut-il s’identifier » ? Et bien non, justement, il ne le peut pas, il ne le veut pas, et c’est bien là toute la difficulté de l’exercice pour le journaliste.
 
Le journaliste, en l’occurrence, c’est Olivier Rogez, qui traite souvent de l’actualité guinéenne. Il m’a raconté comment les choses s’étaient passées, et comment il avait procédé. C’est l’homme lui-même qui a téléphoné à RFI. De Guinée. Rien d’étonnant jusque-là : nombreux sont les guinéens à appeler spontanément la rédaction, à Paris, pour raconter, commenter les événements, donner leur avis. Mais cette fois, il s’agit d’un militaire qui a participé à la répression. Si son témoignage est vrai, il mérite d’être entendu, très largement. Il faut donc vérifier l’authenticité de l’appel. En posant les questions qui permettent de déceler l’éventuel menteur : quel uniforme, quelles armes, quelle carrière, quels supérieurs…etc. En formulant les mêmes questions différemment. En l’écoutant parler : un journaliste expérimenté peut reconnaître un militaire à quelques expressions, aux mots, au ton. Il peut aussi déceler l’émotion vraie, apprécier la précision du récit, bref rassembler les éléments qui permettent d’être sûr de l’honnêteté et de la fiabilité de son interlocuteur.
Plus difficile a été, ce jour-là, la recherche d’autres témoins susceptibles de confirmer les propos du militaire. Ce n’est qu’au fil des jours que RFI a pu rassembler les dires de dizaines de témoins qui étaient au stade. Tous relatent les mêmes faits.
 
Ce militaire a pris des risques importants en racontant ce qui s’est passé au stade de Conakry, alors même qu’il était en service. RFI a choisi de le protéger, en modifiant légèrement sa voix, par les moyens techniques adéquats, afin qu’il ne puisse pas être reconnu. Cette pratique n’est pas scandaleuse. Elle est respectueuse du témoin.
 
Bien sûr, il est préférable que toutes les personnes interviewées soient identifiables, et identifiées. Le témoignage anonyme doit être réservé aux situations exceptionnelles, et c'était le cas. Il doit être traité par un journaliste qui fasse correctement son métier. Car le journalisme est un métier. Avec ses pratiques, ses règles, sa déontologie, et l’expérience, acquise au fil des ans. Le journaliste lui aussi prend des risques, il engage sa responsabilité, et il doit rendre des comptes. A sa hiérarchie, et à son public. Il noue peu à peu un lien de confiance avec l’auditeur. Une relation souvent forte, que les journalistes de RFI connaissent bien, et qu’aucun d’entre eux n’aurait envie de rompre, en inventant, en « bidonnant », comme on dit dans le jargon de la presse.
 
Au fond, ce qui garantit l’authenticité d’un témoignage anonyme, c’est qu’il soit recueilli par un journaliste professionnel. 
 
 
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2 Comments

Madame Burg, je veux bien vous croire, et je ne remets pas en cause le professionnalisme dont fait preuve Monsieur Olivier Rogez. En couvrant les élections présidentielles de 2006 dans mon pays le Bénin, il l'a démontré. Mais la prudence est de mise. Dans ces faits horribles de la Guinée, on connaît le bourreau et les victimes. Mais attention à une éventuelle manip!!!

Chère Dominique
la conclusion seule de ce billet me pose problème. Car le professionnalisme reconnu d'un journaliste n'est pas à lui seul une garantie. Témoin ce qui a été dit aux assisses de Strasbourg dont votre billet du 6 octobre se fait l'écho: les pratiques professionnelles sont parfois déviantes. Les scientifiques diraient que le professionnalisme est une condition nécessaire mais pas suffisante. Il faut aussi que ce journaliste et l'organe de presse où il s'exprime aient au fil des ans forgé une image d'indépendance, d'honnêteté, de rigueur, de respect des faits et du public. Chaque coup de canif individuel à ce contrat moral amoindrit cette confiance portée à un organe de presse. Chacun dans une rédaction en est comptable, à commencer par le propriétaire et la hiérarchie qui doivent veiller à éviter les atteintes à ce contrat et se donner les moyens de les identifier, de les analyser, de les éviter. Le rôle du médiateur est ici précieux. Il est un des rouages de ce dispositif.
Cordialement

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