Cette réaction de Lionel Jean, auditeur de la côte Est des Etats-Unis, est déjà ancienne, à propos d’un titre de RFI. Mais l’autorisation de la publier n’est parvenue que récemment. Voici donc ce dialogue autour d’une « manipulation » potentielle sur les rapports entre Dominique Strauss-Kahn et François Fillon.
« Je pense que c'est une manipulation d'opinion extrêmement grave et foncièrement malhonnête de titrer l'article" le pessimisme de DSK et l’optimisme de Fillon". C'est une façon de substituer le rapport officiel d'une institution internationale comme le FMI à l'opinion de DSK. Sous entendu : les prévisions du FMI sont celles du parti socialiste. »
Voici comment Lionel Jean avait interpellé le médiateur, qui lui fit cette première réponse :
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Cher auditeur,
Votre message m’a été transmis, et je vous en remercie. Si vous m’y autorisez, je le publierai sur mon blog, avec ma réponse, car il est d’intérêt général, même si je pense qu’il n’est pas entièrement fondé.
Vous avez raison, la personnalisation des fonctions peut générer des sous-entendus, des interprétations polysémiques, qui ne servent pas forcément l’information. Mais avouez que pour faire un titre, c’est tellement plus court et plus direct.
La version du titre que vous contestez, en langage soutenu, aurait sûrement été la suivante : « Le pessimisme du directeur du Fonds monétaire international contraste avec l’optimisme du Premier ministre français ».
Est-ce que donner les noms de ces deux personnages sous-entend que « les prévisions du FMI sont celles du parti socialiste » ? C’est vous qui faites le rapprochement, pas la rédaction de RFI. Bien sûr vous savez, nous savons, que DSK est membre du PS français, mais vous savez, nous savons aussi, qu’il doit son poste, outre ses qualités, à l’entremise de Nicolas Sarkozy. Dès lors, les prévisions du FMI ne pourraient-elles être interprétées comme celles d’un affidé sarkozyen tout autant que celles d’un socialiste ? Les adeptes du complot et du conflit Elysée-Matignon n’auraient-ils pu y voir une manœuvre contre le Premier ministre, pour le contredire ? Nous sommes là dans le domaine de l'hypothèse, de l’appréciation, du commentaire autour de l’information, pas de l’information elle-même.
J’ignore l’appartenance partisane éventuelle ou potentielle de M. Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque centrale européenne. Si demain j’entendais parler de « l’optimisme de M. Trichet » (ce qui serait en soi une information :-), je ne saurais dire que c’est l’optimisme de tel parti ou de tel autre…
Les journalistes comme les lecteurs ou auditeurs feraient parfois bien de se contenter de lire ce qui est écrit, d’écouter ce qui a été dit, et pas d’imaginer ce qui aurait peut-être été dans la pensée éventuelle de celui qui a écrit ou dit un texte. Il reste vrai que c’est le travail premier des journalistes de ne pas prêter le flanc à ambiguïté, interprétation, ou connotation mal venue.
De là, dans le cas cité, à parler de manipulation et de malhonnêteté, il y a un fossé que je n’oserais franchir.
Bien cordialement.
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Et voici donc que parvient, avec l’autorisation de publication de cet échange, un dernier commentaire de l’intéressé :
« Je vous remercie d'avoir pris le temps pour répondre à mon email. Je dois admettre que votre réponse est des plus honnêtes et des plus professionnelles. Mais je sens la nécessité d'avancer les points suivants:
- Pourquoi cette méfiance grandissante envers la presse depuis près de dix ans ? Depuis le phénomène Sarkozy, cette méfiance est devenue une défiance. D'une part ses amis, ceux avec qui il va passer ses vacances, ont la main mise sur la grande presse privée. D'autre part on l'a filmé en flagrant délit, menaçant des journalistes de gauche, ceux de la presse d'Etat qui ne sont pas d'accord avec lui. Comme si les idées de gauche étaient illégales en France. Et il a ouvertement menacé que ceux là ne sont pas là pour longtemps.
- Avec le vote de la réforme des institutions qui élargit le pouvoir du Président de la République sur la Presse publique, on est en droit de penser que d'ici peu tous les journalistes en poste dans la presse d'Etat seront des propagandistes à la solde du Président. Vous autres journalistes qui avez tant combattu le totalitarisme de l'URSS, vous vous glissez de plus en plus vers un totalitarisme de l'autre bord.
Il y a longtemps que j'ai pensé à vous répondre. Je me disais : à quoi ça va servir… Comme ceux de la République tchèque qui se sont dressés face aux blindés soviétiques n'ont pas pu empêcher la vassalisation de leur pays pendant plus de trente ans. Tous les pions ont été mis en place. »
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Peu optimiste, notre auditeur, et peu confiant dans la capacité des journalistes, fussent-ils employés dans le service public, à faire des médias d’intérêt général autre chose que les médias de ceux qui détiennent le pouvoir. C’est pourtant bien dans le cahier des charges de RFI, dans tous les textes de référence du service public, qu’il ne faut pas confondre l’intérêt public avec l’intérêt personnel ou politique de ceux qui, à tel moment, et pour un moment seulement dans une démocratie, exercent ce pouvoir politique.
Les occasions ne manquent et ne manqueront pas d’essayer de faire la preuve du contraire, tous les jours sur RFI.
Loïc Hervouet, médiateur