Le médiateur, le cas Labévière et le Proche-Orient

                         Depuis la fin du mois d’août, le médiateur a été saisi par plusieurs dizaines de courriels (77 exactement à cette heure), s’interrogeant, et dans leur grande majorité protestant contre la procédure de licenciement engagée le 12 août dernier à l’égard de Richard Labévière, rédacteur en chef à RFI et animateur de l’émission « Geopolitique, le débat ».

                         Par certains articles de presse, par une pétition, la question est d’ailleurs devenue en partie publique. Et le médiateur mis au défi de s’expliquer.

                         Le silence, de tous côtés, lui vaudrait sûrement moins d’ennuis. Il pense aujourd’hui nécessaire de prendre la parole, même si c’est modestement, dans la mesure où sa fonction relève de la « maintenance » de la relation de confiance entre RFI et ses auditeurs.

                        Ce lundi 22 septembre commencera donc entre RFI et Richard Labévière un processus judiciaire qui aura le dernier mot. La gageure est de s’exprimer sans y interférer. On va tenter de la relever.

                         Soyons donc clairs et précis : le propos du médiateur n’est pas un propos officiel de RFI, il est le propos d’un journaliste indépendant, libre de parole, désigné à cette fonction pour l’exercer en toute indépendance de jugement et de comportement. La décision de publier cette chronique a été prise en conscience, en dehors de toute discussion d’opportunité avec l’une ou l’autre des parties, encore moins en dehors de toute soumission préalable de ce texte.

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                         D’une certaine façon, le cas s’apparente à celui de la grève de novembre 2006, pour laquelle le médiateur avait fini par prendre l’initiative d’une information factuelle, sous sa responsabilité pleine et entière, sans interférer dans le conflit, mais en brisant un silence qui aurait pu confiner au mépris de l’auditeur.

                        A titre de rappel, voici le « lancement » de son intervention à l’antenne, à l’époque :

« Le règlement d’un conflit social à RFI n’est pas du ressort du médiateur de la rédaction, qui n’a (et ne revendique) aucun pouvoir de médiation sociale dans l’entreprise : il y a dans le droit social français des mécanismes et des institutions dont c’est le rôle. Puissent-ils être utilisés pour résoudre l’actuel conflit !

« Mais le médiateur a pour fonction essentielle de veiller au contrat de confiance éditorial entre la station et ses auditeurs. Celui-ci, manifestement, est rompu ou en passe de l’être lorsqu’une grève perdure, qu’elle n’est pas expliquée, et que ce silence finit par passer pour de la désinvolture, sinon du mépris à l’égard de millions d’auditeurs privés de leur lien souvent essentiel avec le reste du monde, pour lequel ils n’ont souvent pas d’alternative, en tout cas pas en français, ou dans leur langue de destination. »

                         Donc aujourd’hui, le médiateur pense également qu’il faut briser le silence et accuser réception de ces messages, même si le fil du rasoir consiste à ne rien dire, avant ces échéances, qui parasite le fond des choses. Ce propos ne pourra donc être que relatif, voire provisoire.

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                    Constatons d’abord une nouvelle fois qu’il n'appartient en rien au médiateur de s'immiscer ou proposer ses services dans un conflit social interne: il n'est pas médiateur au sein de RFI, mais entre RFI et ses auditeurs. Il n’interviendra donc en rien sur le fond du dossier entre un salarié et la direction de son entreprise.

                    Par contre, à partir du moment où une émotion réelle, au-delà d'une "campagne" politique organisée via internet, et une demande d'explication toute simple émanent d'un nombre significatif d'auditeurs, il juge indispensable d’accuser réception publiquement et d’aider à la réflexion sur les notions qui sont en jeu, en dehors de tout manichéisme.

                    L'objet et la tonalité de sa réponse, avec beaucoup de recul, seront de dire des éléments permettant de comprendre la nature du conflit, sans entrer dans le détail des argumentations, ni alimenter de polémique. Pas plus que le médiateur, les auditeurs n'ont les moyens d’être juges du fond avec pertinence. Il y aura des juges pour cela, sans doute aucun, dans les procédures prévues.

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                    Que cette simple publication en soit d’ailleurs le premier témoignage : vos questions et vos commentaires sont entendus. Avec le concours du service de relations avec les auditeurs, tous les messages sont lus, et transférés aux personnes concernées, en l’occurrence la direction de RFI.

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                    Une direction qui manifeste dans son expression sur cette affaire une prudence normale et légitime, compréhensible compte tenu de l'action judiciaire à venir. « La procédure est purement disciplinaire et d’ordre interne », a-t-elle répondu aux questions des journalistes de l’extérieur. On réserve sans doute de plus amples explications aux instances habilitées, le moment venu. On ne peut donc qu’attendre.

                    Néanmoins, les faits connus permettent de dire que le licenciement trouve son motif dans les conditions de réalisation d’une interview du président syrien Bachar El Assad, réalisation menée par Richard Labévière à la fois pour RFI et TV5, d’une façon jugée trop personnelle, sans coordination ou compte rendu suffisants avec les responsables de la station. L’interview a été diffusée sur TV5 deux jours avant sa diffusion sur RFI.

                    Du côté de la direction de RFI, c’est donc pour l’essentiel une question de conflit de relation hiérarchique qui est en cause.

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                    Du côté de Richard Labévière et de ses soutiens, la thèse n’est évidemment pas la même et la réserve n’est pas de mise : conférences de presse au Liban, à Paris, pétitions.

                    On conteste les reproches techniques de comportement professionnel. On attribue le déclenchement de la procédure à une volonté de « reprise en main », de « glissement atlantiste », et pour les plus militants, à une dérive « anti-arabe », « pro-sioniste ». Puisque ses soutiens attribuent à Richard Labévière une orientation inverse.

                    C’est bien évidemment une lecture plus « politique » que « technique », facilitée par une lecture « politique » des changements de direction qui viennent d’intervenir dans l’audiovisuel extérieur français.

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                    Du fond du dossier entre RFI et Richard Labévière, le médiateur ne dira pas plus aujourd’hui, pour les raisons exposées plus haut.

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                    Sur la politique rédactionnelle de la station, qui est sa préoccupation majeure, et la justification de sa fonction, il dira un peu plus, dans la mesure surtout où beaucoup de ses interlocuteurs mettent en avant dans ce dossier la question du Proche-Orient, de façon lancinante, et toujours aussi exacerbée et ultra-sensible.

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                    Il n’est pas question de contester la bonne foi ou la légitimité de certaines inquiétudes, mais il faut répondre à certaines assertions de certains messages :

                    1. Aux interlocuteurs qui voyaient les preuves de la « reprise en main sioniste » dans la disparition de tel ou tel confrère à l’antenne (je ne citerai pas les noms, car ceux qui les citent leur rendent le -mauvais- service de les faire passer pour inféodés à une cause), je demande de réécouter RFI : ils les ont retrouvés, après des vacances, pas si anormales au mois d’août… Le médiateur lui-même a mis du temps à rentrer dans des zones de bonne réception numérique début septembre…

                    2. Aux tenants de la politique du complot qui croient sincèrement que de nouvelles directives de la direction de RFI enjoindraient d’« affirmer Jérusalem comme capitale d’Israël » ou de prendre toutes autres orientations favorables à un camp, je voudrais demander de me trouver la référence de ces injonctions supposées, et de lire au contraire, les seules qui vaillent, publiées dans le « livre d’antenne » de RFI, dont la rédaction a été coordonnée dès 2003 par mon prédécesseur Noël Copin.

                    Voici, spécialement extraites de ce livre, les considérations touchant au Proche-Orient, et qui datent déjà de quelques années. On verra le soin apporté à ne heurter aucune sensibilité ou à ne prendre aucun parti.

Le langage

Les « mots pièges » sont ceux qui ont une charge émotionnelle ou une résonance politique ou idéologique et que les auditeurs ressentent ou interprètent de façon différente selon leurs origines, leurs convictions, leurs engagements personnels.  Ces problèmes se posent dans tous les médias mais la diffusion importante dans des pays en guerre ou en crise grave les rendent encore plus aigus à RFI.

Parmi les pièges les plus fréquents et les plus redoutables, l’article  « les ». Il conduit aux amalgames, à la généralisation, à la discrimination. Gardons  nous de dire « les » Français, « les » Allemands, « les » Israéliens, « les » Palestiniens, « les » Juifs,  «  les » Musulmans, etc.

Religion : des nuances

Fondamentalisme : Née également aux Etats-Unis, et parmi les chrétiens, cette tendance consiste en un attachement rigoureux à une conception littérale des textes sacrés. On parle désormais de  fondamentalisme  à propos d’autres religions, notamment l’Islam.

Islamisme : Même si, pour certains dictionnaires, ce mot désigne la religion musulmane, il a, de fait, maintenant, un autre sens : l’islamisme est une doctrine (ou un mouvement) politico-religieux qui fait de l’Islam le fondement d’un système de gouvernement. L’adjectif « islamiste » a donc une connotation militante. C’est l’adjectif « islamique » qui est synonyme de « musulman ». Des pays « islamiques » ne sont pas nécessairement «  islamistes. »

Proche-Orient : des précisions

Généralités sur la prononciation : en persan et en arabe, la translittération « kh » se prononce comme le ch allemand ou la jota espagnole et non pas comme un « k ».

Gaza : Le chef-lieu de la bande de Gaza est la ville de Gaza et non « Gaza-city ». Dire « Gaza » ou « la ville de Gaza »

Hamas : Acronyme de “Harakat Al-Mouqawama Al-Islamiya”, Mouvement de

la Résistance

islamique. Se prononce Hamas, avec un H aspiré, ou à la rigueur « Amas » à la française, mais jamais « Khamas » ou « Ramasse » qui est la prononciation hébraïque (le ‘H’ n’existe pas en hébreu)

Hezbollah : Littéralement « parti de Dieu ». Traditionnellement présenté comme « mouvement chiite intégriste pro-iranien ». Cette présentation est aujourd’hui réductrice, le Hezbollah étant un parti politique libanais représenté au parlement tout en étant une milice armée à la frontière israélienne avec l’appui des autres formations politiques libanaises.

Jérusalem : Au lendemain de la guerre de 1967, le parlement israélien a fait de Jérusalem la capitale « unifiée, éternelle et indivisible » d’Israël, ce qui à ce jour n’a jamais été reconnu par la communauté internationale. Dire « le gouvernement de Jérusalem » est donc fortement connoté . Pour autant, dire « le gouvernement de Tel Aviv » ne correspond plus à aucune réalité, même si certains ministères demeurent à tel Aviv. On se contentera donc de dire, même au risque de la répétition, le « gouvernement israélien ».

Koweït : la capitale du Koweït est « Koweït », et non « Koweït-city ». Dire « à Koweït », ou encore «dans la ville de Koweït »

Mur : L’ouvrage destiné à séparer les Palestiniens de Cisjordanie d’Israël, construit en partie sur la « Ligne verte » séparant Israël des territoires occupés (ligne d’avant la guerre de 1967), en partie à l’intérieur de

la Cisjordanie

, est à certains endroit un mur, en d’autres une clôture grillagée et électrifiée. Les Israéliens insistent pour que ne soit pas utilisée le terme « mur » qui évoque trop le mur de Berlin et préfèrent l’expression « clôture (ou barrière) de sécurité ». L’utilisation alternée des deux termes devrait permettre de rendre compte de la situation sans se laisser piéger par le vocabulaire.

Salafiste : Ce terme, désignant les musulmans tenants d’une version traditionaliste de l’Islam (de Salaf, ancêtre) est utilisé à tort et à travers à la place des mots « intégriste » ou « islamiste ». D’une manière générale, il est préférable d’éviter ce mot que ne comprennent ni les auditeurs, ni souvent les journalistes qui l’emploient.

Territoires : Cette expression, utilisée à l’origine par les journalistes israéliens, est un euphémisme désignant les territoires occupés par Israël en 1967 (Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza) alors que le ministère israélien des Affaires étrangères utilise l’expression « Territoires disputés » tandis que les médias publics israéliens parlent de Judée et Samarie pour désigner

la Cisjordanie. Après

les accords d’Oslo, l’expression « Territoires autonomes » s’est substituée à « Territoires occupés ». Mais depuis la réoccupation entreprise en mars 2002, cette expression ne correspond plus à la réalité. On préférera à toutes ces formulations l’expression « Territoires palestiniens ». 

Tsahal : Acronyme de Tsa (armée) Hagana (défense) LéYisrael (d’Israël). L’absence d’article devant le sigle lui donne une connotation familière et sonne comme un nom propre. Il place le locuteur, même malgré lui, en position de sympathisant. L’emploi de ce mot est déconseillé.

Wahhabite : Ce terme, qui désigne les musulmans suivant les préceptes de l’imam Mohammed Ibn Abdel Wahhab sur lesquels s’appuie la dynastie saoudienne, a été employé de plus en plus dans les années 90 pour désigner des mouvements islamistes, parfois financés par les Saoudiens, notamment dans le Caucase du Nord et dans l’ex-Yougoslavie. Le terme a été notamment employé de façon polémique par les Russes pour stigmatiser tous les islamistes. Actuellement, son emploi généralisé ne correspond plus à grand-chose. Il convient donc de l’éviter.

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                    3. Aux interpellateurs qui croient qu’une rédaction est si malléable que cela, que des « consignes » injustifiées ou injustifiables peuvent rester secrètes et inexpliquées dans une telle communauté, je voudrais demander de considérer que le métier reste autant collectif que personnel, ce qui n’empêche pas les fautes, en tout cas pas toujours, mais ce qui évite le plus souvent qu’elles passent inaperçues.

                    C’est ensemble et solidairement que les journalistes de RFI essaient ou doivent essayer, en conscience, d’être fidèles à la promesse éditoriale d’une information de référence. Des textes sont là pour encadrer leur réflexion. Le médiateur, et surtout à travers lui, les auditeurs, peuvent exercer une vigilance utile.

                    Elle ne fait pas défaut, je puis en témoigner.

Loïc Hervouet, médiateur