Annexe 3: A tu et à vous

Voici le texte publié après l’émission de l’Atelier des médias consacrée au tutoiement et au vouvoiement à l’antenne Par fonction et par nature J, le médiateur donne rarement un avis sans y avoir un peu réfléchi. On pardonnera donc le raisonnement, en trois parties comme à Sciences Po (dont je ne sors pas, ce qui m’évite et m’a évité bien des tutoiements), mais qui tente de rassembler tous les éléments argumentaires énoncés et entendus. Bien entendu, la question ne se pose qu’à l’antenne : dans les couloirs, le courrier et sur les blogs privés, on fait ce qu’on veut…

  1. les  3 inconvénients du tutoiement

-         cette « complicité » affichée exclut le public qui « n’en est pas » : pas de problème dans un chat entre blogueurs, mais difficulté pour intégrer les autres (milliers, millions d’) auditeurs dans une émission.

-         cette complicité rompt l’égalité de traitement entre les différents participants à la même émission : y a-t-il les amis, et … les autres ?

-         la porte est ouverte à bien des ambiguïtés et à des hypothèses de l’auditeur. En prétendant lever certaines ambiguïtés par le tutoiement, on en crée d’autres.

On a pu entendre sur RFI, dans la même émission, celui qui menait le débat vouvoyer les universitaires (tous Blancs), et tutoyer les artistes, tous Africains. Imaginez les réactions réelles du public sur le racisme supposé d’un animateur … africain qui avait tout simplement tutoyé ses amis. Danger, corde raide.

                                                                                                                     

  1. les 6 mauvaises raisons réelles ou supposées pour tutoyer

Quand il entend « tu » à l’antenne, l’auditeur peut imaginer bien des raisons dans la tête du journaliste :

-         vouloir être, dans les médias ou dans son média, original, révolutionnaire (à peu de frais), vouloir choquer et détoner, faire du « djeunisme », faire prétendument « moderne », affirmer son journalisme « junky »

-         vouloir montrer qu’on est à tu et à toi avec tel expert, telle vedette, tel « puissant »

-         vouloir laisser croire que « ici, c’est comme entre potes, comme sur le net, convivial et tu et tout » … alors que c’est … sur l’antenne de RFI, qui a d’autres contraintes et surtout un autre public beaucoup plus large

-         vouloir laisser entendre qu’on n’est pas comme les autres journalistes, sous-entendu réactionnaires, cul pincés et complices des pouvoirs : bonjour la confraternité et la modestie…

-         le faire parce que ça se fait ou ça commence à se faire ailleurs : bonjour le suivisme… Et si ça se fait en Angleterre, c’est grâce au « you ». Le « tu » généralisé est aussi une forme perverse d’anglicisme

-         la lutte contre l’hypocrisie ou pour la transparence : c’est l’argument le plus sérieux, mais tutoyer à l’antenne parce qu’on se tutoie dans la vie, c’est trop ou pas assez. La vraie transparence serait de dire nos liens avec les invités, les risques de complicité réelle ou supposée, les éventuels conflits d’intérêt…

Et je ne permets pas qu’on traite ma maman d’hypocrite : elle était institutrice, a donc été la mienne, et elle m’a appris à dire « maîtresse, vous… » quand j’étais au CM2, et « maman, tu… » quand j’étais à la maison. Un peu de rigueur vis-à-vis des autres ne nuit pas. J

  1. les 3 avantages du vouvoiement (à l’antenne, dans une émission d’information)

-         tout intervenant devient une source, parmi d’autres, on la traite comme telle, sans familiarité excessive

-         on installe une distance entre interviewer et interviewé (Hubert Beuve-Mery, fondateur du Monde : « Le journalisme, c’est la distance… »), une distance qui a, entre autres mérites, celui de rappeler qu’on est là pour bosser, donc parler sérieusement, et pas dans la fantaisie d’un café du commerce entre potes. C’est une manifestation de professionnalisme, de respect.

-         on répond aussi, tout simplement, au vœu très très majoritaire des auditeurs. Ce n’est pas la plus mauvaise des raisons, lorsqu’on se veut … interactif.

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