Rapport 2007-2008 du médiateur: le texte central

rfi
Radio France Internationale

Rapport du médiateur

Septembre 2008

                                      Avertissement

Le présent document est le second rapport dans l’histoire de la médiation  à RFI. Il ne reprend pas les éléments fondamentaux du premier rapport remis en septembre dernier, dont la lecture pourra très utilement baliser la réflexion sur cette tâche et son évolution. Sans vanité d’auteur, le médiateur ne peut qu’en recommander la (re)lecture, car il n’a rien à y retirer.

Le présent rapport analyse l’activité des douze derniers mois et actualise les éléments de réflexion sur cette fonction à RFI.

Sommaire

I. L’activité du médiateur

I.1. L’accueil des interpellations
I.2. Le traitement des interventions
I.3. L’animation du blog
I.4. L’intervention à l’antenne   

II. Les préoccupations des auditeurs 

II.1. A travers la myriade des courriels 
II.2. A travers les interpellations directes du médiateur
II.3. Le cas Moussa Kaka

III. Questions posées à la médiation

III.1. Les données techniques de la médiation
III.2. L’impact possible, réel et supposé
III.3. Interne ou externe ?

Annexes

1. « Note au matin »   
2. De la protestation à la complicité amicale
3. Le tutoiement à l’antenne
4. Les médiateurs dans les médias français
5. Raisonnements autour du cas Moussa Kaka
6. Florilège d’interpellations

I.             L’activité du médiateur

L’ardeur des auditeurs de RFI à interpeller leur radio ne faiblit pas : le recours à la mnémotechnique pour comptabiliser les courriels reçus conduit à afficher un total de 555 messages par jour : plus de 200.000 par an ! Tous ne concernent heureusement pas le médiateur, mais demandent des renseignements, des conseils, donnent un avis, ou tout simplement des nouvelles. Le service des auditeurs les prend le plus souvent en charge. On pourra le dire chaque année : l’attachement des auditeurs à « leur » radio est exceptionnel. Elle entraîne une exigence à la hauteur de cette « affection ».

I.1. L’accueil des interpellations

Beaucoup, parmi les interlocuteurs du médiateur, emploient directement l’expression « Qui aime bien châtie bien », et, avec raison, ils ne se gênent pas pour la mettre en pratique. Dans le rapport 2007, le médiateur soulignait combien plus aucune erreur, pratiquement, ne passe inaperçue, et comment le public se manifeste, de plus en plus, grâce aux facilités du courrier électronique. De septembre 2007 à août 2008 inclus, ce sont ainsi 619 interpellations (soit pratiquement deux par jour) qui sont parvenues au médiateur directement ou par le truchement du service auditeurs. Elles ont massivement emprunté la voie électronique. Dans tout le courant de l’année, seuls deux courriers postaux ont été adressés au médiateur.

La voie orale a été une fausse bonne idée, osons le dire. Il avait été imaginé de permettre aux auditeurs de laisser observations ou questions sur un répondeur spécialement dédié. Le médiateur avait l’ambition de récupérer par là des commentaires « vivants », avec le projet de les utiliser sur le blog, ou dans l’émission de Juan Gomez. La durée d’enregistrement avait été limitée à une minute, parce que cela peut être largement suffisant et oblige à préparer une intervention construite. La déception a été au rendez-vous : peut-être la promotion du numéro d’appel a-t-elle été insuffisante, sans doute des difficultés techniques dues entre autres au changement de local, ont rendu cette voie d’accès difficile. En tout état de cause, il n’y a eu que peu d’interventions (deux ou trois par semaine), de mauvaise qualité sonore le plus souvent, mais aussi concernant des demandes de renseignements divers, sur tout et parfois n’importe quoi, parfois même sans rapport aucun avec RFI. Le médiateur a répondu directement à quelques sollicitations, mais l’ensemble ne permettant pas une utilisation très efficace, la voie a été coupée.

I.2 Le traitement des interventions

Toutes ces interventions d’auditeurs  font l’objet de trois modes de traitements principaux :

-         une répercussion  systématique vers les services de la rédaction ou de la rédaction en chef concernés, pour information en tout état de cause, parfois pour demande d’explication ou de précisions : c’est la tâche normale de relais, de répercussion de réactions dont on peut penser qu’elles nourrissent aussi la réflexion et la vigilance des intéressés.

Innovation de cet exercice 2007-2008 : sur la suggestion de présentateurs de journaux eux-mêmes, les erreurs relevées sont mutualisées dans la « note au matin », note de service quotidienne adressée à tous les présentateurs pour (en principe) ne plus être commises. A ce titre, le médiateur a fait transiter un peu plus d’une vingtaine de notes via les rédacteurs en chef (voir en exemple l’annexe 1).

-         une réponse personnelle à l’auditeur ou auditrice, dans un dialogue devenant plus direct, qui se poursuit parfois assez longtemps. Sur les 619 messages cités, 147 ont donné lieu à une réponse individuelle circonstanciée : ne sont pas comptabilisées ici les simples réponses de courtoisie ou de confirmation d’une transmission à la rédaction. Sauf erreur ou omission, problème technique ou faiblesse passagère, le médiateur accuse toujours réception des messages reçus. Avec tel ou tel, les échanges deviennent réguliers, et souvent cordiaux, même si le démarrage de la relation a été conflictuel. La simple manifestation d’une écoute attentive ramène souvent le conflit à sa juste proportion, et la réflexion n’est plus à sens unique (voir exemple annexe 2)

-         une réponse publique plus globale et circonstanciée, affichée sur le blog du médiateur, ouvrant possibilité de commentaires, pour des sujets qui ont paru poser des questions d’intérêt plus général, ou des questions de principes. Dans la dernière période d’un an, 46 réponses de ce type ont été publiées et restent consultables sur le blog (voir celui-ci directement : http://blogs.rfi.fr/blog_du_mediateur_de_rfi ).

La méthode que s’impose le médiateur pour ces réponses publiques est systématique et (en principe) rigoureuse :

            

o       accusé de réception à l’auditeur(trice) lui demandant s’il autorise la publication de son propos, s’il l’autorise sous son nom ou sous un pseudo (l’anonymat peut être garanti lors de la publication, mais les courriers anonymes -rarissimes- ne sont pas pris en compte)

o       transmission du message au journaliste concerné, avec sollicitation de ses explications ou commentaires, voire d’une réponse directe à l’interpellation

o       rédaction de la réponse officielle du médiateur, puis mise en ligne avec envoi à l’auditeur, au(x) journaliste(s) concerné(e)s, au service de relations avec les auditeurs

o       ouverture systématique d’une possibilité de réaction, de commentaire, et publication de ces réactions (dans toute l’année, seules deux réactions injurieuses, hors sujet et sans identification ont été éliminées).

I.3. L’animation du blog

Vitrine de l’activité du médiateur, le blog a continué de vivre autour de cinq rubriques :

- « Dans le courrier du médiateur » : publication de courriels et de réponses à des auditeurs, pour peu qu’elles puissent présenter un intérêt général quant au traitement de l’information

- « C’est vous qui le dites » : publication de réactions d’auditeurs qui relèvent de points de vue intéressants, mais ne comportant pas de mise en cause de la station, ni ne nécessitant de longs commentaires en réponse. C’est un peu un courrier des lecteurs… Exceptionnellement cette année, pour manifester qu’il est beau joueur, le médiateur y a publié l’essentiel du raisonnement de manifestants lancés dans une campagne organisée pro-tabac.

- « La citation de la semaine » : un  mot d’auteur sur le journalisme, ou pouvant s’y appliquer, renouvelé chaque semaine pour entretenir l’intérêt et donner matière à réflexion. A lire parfois en liaison avec l’actualité médiatique de la semaine.

- « La fabrique de l’info » : un article sur la machine interne de RFI, destiné à faire mieux comprendre le fonctionnement des médias.

- « Textes de référence » : les éléments propres à RFI (cahier des charges, charte, etc.) mais aussi d’autres textes utiles sur l’information … et l’intégrale du premier rapport du médiateur, publié en septembre 2007.

La statistique de fréquentation du site a été établie aux alentours de 3.500 à 4.000 visites mensuelles.

I.4. L’intervention  à l’antenne

Conformément au choix de donner priorité à l’accès par internet, le médiateur n’a pas tenu d’émission régulière sur les antennes de RFI, sachant qu’il est l’invité potentiel permanent de Juan Gomez, dans son émission « Appels sur l’actualité », avec lequel, très logiquement,  il échange régulièrement des informations ou des contenus sur les interpellations d’auditeurs.

En dehors de ces participations ponctuelles, il est intervenu à plusieurs reprises dans l’émission interactive expérimentale de Philippe Couve, l’« Atelier des médias », en particulier

-         sur la question de l’emploi du tutoiement à l’antenne (voir annexe 3)

-         sur une information discutable de RFI concernant le prétendu « président de Facebook », pour laquelle il convenait de reconnaître l’erreur et de présenter des excuses, sans barguigner

-         sur les spécificités et apports du journalisme sur Internet

A l’examen, le principe d’une émission régulière, avec l’inconvénient d’une « obligation » parfois artificielle, présenterait l’avantage de mieux faire connaître la fonction et les moyens de l’utiliser. Mais cela reste à trancher.

II.       Les préoccupations des auditeurs

Les interpellations des auditeurs et auditrices traduisent deux préoccupations essentielles :

  1. la qualité et la pertinence de la forme : les auditeurs ne supportent pas les fautes de langue, les erreurs géographiques ou historiques, voire les approximations de prononciation. Toutes ces imperfections, fussent-elles minimes, nuisent à la fiabilité, et pour eux, mettent en jeu la crédibilité du contenu même de l’information.

  1. l’impartialité exigée des présentateurs : dans les journaux au moins (on est plus « coulant » dans les magazines), tout choix estimé partial d’invités ou de témoins, tout adjectif, tout adverbe, voire toute modulation de voix traduisant ou laissant supposer un a priori du journaliste est vigoureusement contesté. Pour une partie minoritaire, mais récurrente, des interpellateurs, la « ligne » politique, voire le « complot » président aux choix rédactionnels dès lors que ceux-ci ne leur conviennent pas.

Pour ce qu’il connaît des réactions des lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs des dix-huit autres médias français dotés d’un médiateur (voir annexe 4), ces deux types de préoccupations sont communes à l’ensemble des usagers des médias, prioritairement.

Ces préoccupations prennent une dimension forte et poussent l’auditeur à manifester son sentiment, le plus souvent son irritation, parfois (plus rarement, mais significativement tout de même) sa satisfaction, lorsqu’elles rencontrent l’un de ses sujets de prédilection ou de passion militante.

Prédilection : un spécialiste de l’histoire des relations internationales ne laissera pas passer telle approximation sur les enchaînements qui ont mené à la guerre du Kosovo ; un ostéopathe professionnel n’admettra pas qu’on dénature sa spécialité dans une émission de santé ; explique-t-on à tort, dans une émission (appréciée) sur les Mourides que ses frères ont succédé au fondateur, on est aussitôt repris par des auditeurs fidèles du Mali ou du Sénégal : c’étaient ses fils…

Passion : un militant de telle ou telle cause croira toujours que telle ou telle émission, telle ou telle phrase, tel ou tel mot, a pris fait et cause pour l’adversaire. De ce point de vue, le conflit du Proche-Orient, très très largement en tête des sujets de protestation récurrents, puis la Côte d’Ivoire ou la question tibétaine, fournissent l’occasion à ces militants de dénoncer le parti pris nécessairement supposé dans le traitement de l’information sur le combat de leur vie.

Qu’on ne s’y trompe pas : je ne raille pas le militantisme, qui est une forme honorable de l’engagement, mais l’aveuglement, souvent inconscient, qui fait parfois entendre le contraire même de ce qui a été dit, qui fait voir le mal là où il n’est pas, qui présuppose la mauvaise foi de l’autre, et qui est imperméable à tout raisonnement nuancé. Or sans dialogue, précisément, on ne peut aboutir qu’au conflit.

Qu’on ne s’y trompe pas : par là, je n’exonère pas la rédaction de ses responsabilités, ni ne nie l’existence possible de dérapages plus ou moins graves. Une imprécision, un vocabulaire inapproprié, des qualificatifs superflus, une erreur de fait, peuvent très bien justifier le soupçon. C’est l’honneur des journalistes que de le reconnaître, d’en prendre conscience, de s’en excuser, et surtout « de faire mieux la prochaine fois », comme disent les sportifs qui ont connu une défaillance. Ce qui est souvent insupportable, aux yeux du public, c’est la répétition de l’erreur, l’impression donnée qu’on n’apprend rien des fautes passées. Aux confrères de démontrer le contraire.

II.1. A travers la myriade des courriels

L’un des meilleurs moyens de prendre connaissance des sentiments des auditeurs, à la fois sur les sujets qui les intéressent le plus dans l’actualité, mais aussi sur ce qu’ils en pensent, c’est de consulter le bulletin hebdomadaire du service des relations avec les auditeurs, joliment dénommé « Pêle-m@ils » (voir rapport 2007. En janvier 2007, une remarquable synthèse, en treize pages, avait rendu compte du sentiment des auditeurs de RFI sur la pendaison de Saddam Hussein, le jour de l’Aïd).

Chaque semaine, en six pages, parfois plus, « Pêle-m@ils » rend donc compte des principales réactions des auditeurs à l’actualité « chaude » des huit jours écoulés, mais aussi décortique les messages adressés à une émission spécifique. Souvent, une rubrique relève les attentes des auditeurs sur les conditions de réception, l’organisation de RFI et ses correspondants dans le monde. « Pêle-m@ils » reproduit, fautes de frappe (ou d’orthographe) comprises, en sélectionnant 50 à 60 envois chaque semaine, la spontanéité et la vivacité des courriels envoyés à RFI. C’est un trésor de connaissance des centres d’intérêt des auditeurs et de compréhension de leurs attentes.

Pour l’instant diffusé en interne à la rédaction de RFI, ce document utile et intelligent pourrait peut-être, sous une forme à déterminer, être diffusé plus largement. Même à l’état brut, il contribuerait sans aucun doute à une approche multiculturelle et une compréhension de regards croisés sur l’actualité. Ce serait un instrument de lutte salutaire contre l’ethnocentrisme à l’origine de tant d’incompréhensions.

II.2. A travers les interpellations directes du médiateur

Les interpellations transmises ou reçues directement par le médiateur traduisent, elles, plus et tout autant que les centres d’intérêt des auditeurs, leurs sujets de mécontentement.

Bien évidemment, c’est l’erreur factuelle qui provoque le plus d’indignations, comme lorsqu’on attribue la nationalité allemande à Albert Schweitzer, prix Nobel alsacien, ou qu’on annonce, dans la foulée de tous les médias français, un président français de Facebook, sans avoir suffisamment vérifié une information qui s’avère fausse un peu plus tard.

Le souci du « bon français » est permanent, et chaque faute relevée (voir rapport 2007). Mais c’est surtout l’interprétation des mots employés qui donne lieu à débat. Ainsi du « Golfe » tout court, ou Golfe persique ou arabo-persique, qui paraît traduire un soutien aux thèses iraniennes ou saoudiennes, selon le cas. Ainsi des termes « pouvoir », « gouvernement » ou « régime », qui paraissent traduire un  jugement de valeur sur différents pays. Ainsi de la généralisation de l’expression « En Afrique », justement trop générale. Ainsi du « général déchu », pour qualifier un acteur politique congolais. On vous passe les querelles de mots (et pas seulement) sur le Proche-Orient, récurrentes. C’est qu’en effet, aucun mot n’est innocent, même prononcé innocemment. Il faut en être conscient.

Ce que l’auditeur de RFI ne supporte pas (sauf peut-être pour les siens ?), c’est qu’on véhicule des préjugés, qu’on alimente des complexes de supériorité et qu’on nourrisse des complexes d’infériorité. A chaque fois revient l’expression : « J’attendais mieux de RFI… » Pour être plus rares, les accusations de frivolité « people », d’étroitesse d’esprit hexagonale, ou de sensationnalisme, ont révélé l’extrême sensibilité des auditeurs à la mission de RFI : sérieuse, mondiale, et éducative.

Rien n’a beaucoup évolué dans ces jugements sur la nomenclature des « sujets qui fâchent » relevés dans le rapport 2007.

Un des succès attribués au médiateur avec une reconnaissance infinie par une cohorte de supporters de football a été d’obtenir le changement de langue dans la diffusion des commentaires de la Coupe d’Afrique des Nations au Ghana : tous les supporters francophones à Accra en ont été bouleversés de bonheur. A dire vrai, si le médiateur a relayé les plaintes qui lui parvenaient, le mérite de la décision revient tout entier à la direction des antennes et de l’information !

Une seule « campagne » organisée a été relevée cette année à destination du médiateur comme de tous les cadres de rédaction à RFI (et ailleurs) : celle des partisans de la « liberté de fumer », qui ont relayé, plus ou moins finement, un argumentaire disponible sur les sites des lobbies cigarettiers : cette « spontanéité » simultanée n’a trompé personne.

II.3. Le cas Moussa Kaka

A quelques jours près, ce rapport est publié alors que le correspondant de RFI au Niger, Moussa Kaka, aura passé une année de détention dans les prisons nigériennes, accusé de « complicité d’atteinte à la sécurité de l’Etat », rien de moins.

Il est toujours difficile de traiter d’une question dans laquelle une solidarité naturelle d’entreprise et de profession risque de ne pas rendre crédible une prise de position indépendante.

Le médiateur n’avait pas de rôle particulier à jouer sur le fond de l’affaire : la direction de RFI, les organisations syndicales et professionnelles, les avocats, ont joué et jouent chacun leur rôle, du mieux possible.

Evidemment sollicité par de multiples messages, le médiateur s’est efforcé de permettre le recul, le raisonnement dépassionné, en particulier vis-à-vis de ceux pour qui les prises de position en faveur de la libération de Moussa Kaka ne faisaient que révéler une solidarité purement corporatiste, ou ne faisaient que piétiner les prérogatives nationales du Niger, sinon traiter avec mépris la capacité d’indépendance de la justice nigérienne.

Pardon Moussa, mais je sais, sans te connaître personnellement,  que tu comprendras le raisonnement, en grand professionnel que tu es : pourquoi mettre en exergue « le cas Moussa Kaka », alors que tant d’autres prisonniers, tant d’autres injustices potentielles, aux conséquences parfois ultimes et mortelles, requièrent l’attention dans le monde ? N’en a-t-on pas trop fait ?

Ce n’est évidemment pas par pure amitié : c’est parce que la liberté d’un journaliste engage plus que lui-même, plus que sa propre liberté de mouvement, c’est parce qu’elle engage le droit du public à l’information, le libre accès à toutes les sources d’information, partout dans le monde, que cette question est vitale, universelle.

Dès lors, il a fallu aussi faire comprendre que le 10 mars, lors d’une journée de militantisme pour la libération de Moussa Kaka, l’heure était à la mobilisation, à la pression, pas au débat. Car tout en soutenant son correspondant au Niger -ne pas le faire aurait été participer au soupçon- RFI a donné la parole, bien évidemment, aux autorités du pays, lorsqu’elles ont voulu la prendre, et ne se sont pas réfugiées dans le « silence radio » sur le sujet.

Tout en s’appliquant à un raisonnement dépassionné (voir, pour juger de la complexité des arguments, la longue annexe 5), tout en expliquant que ni RFI ni Moussa Kaka ne refusaient de rendre compte à la justice nigérienne, mais dénonçaient seulement une détention injustifiable, il a fallu aussi expliquer qu’« entre des positions honorables et sincères, entre des positions de bonne foi même contradictoires, un médiateur peut médiater, mais qu’entre la liberté et l’arbitraire, il n’y a pas de juste milieu. »

Car en définitive, lorsque justice sera rendue à Moussa Kaka, qui lui rendra cette année de sa vie ?

III.Questions posées à la médiation

Dix années de pratique de la médiation à RFI permettent aujourd’hui de poser les éléments du choix, entre le renoncement, le maintien ou le développement de la fonction.

III.1. Les données techniques de la médiation

Sur l’antenne et sur le site, une meilleure visibilité, une meilleure exposition, un balisage mieux souligné des moyens de recours au médiateur permettraient sans aucun doute un élargissement de son rayonnement. A la fois vis-à-vis des auditeurs, qui exploiteraient plus fortement ce recours, et vis-à-vis de la rédaction, qui l’utiliserait pour « sentir » le retour du public, et vivre mieux encore l’interactivité.

Ceci imposerait sûrement le renforcement des moyens techniques et humains affectés à cette tâche.

Renoncer marquerait sûrement une régression dans la conquête, toujours à refaire et parfaire, de la confiance du public. Réorganiser, notamment dans le cadre du nouvel ensemble de l’audiovisuel extérieur français, n’est pas une opportunité à négliger.

III.2. L’impact possible, réel et supposé

Réécrivons, sans hésitation, le propos de l’an dernier :

« Seul, le médiateur ne peut rien. La gageure est encore et toujours de faire partager « ce souci à une rédaction massivement de bonne volonté, mais engagée à fond dans le « traitement incessant, et stressant, de l’actualité.

« Car la première des difficultés, dans une station très entraînée à l’interactivité, où le « dialogue direct des auditeurs avec les journalistes, avec les émissions, est depuis « longtemps facilité, encouragé et organisé sur le site Internet et par téléphone, c’est de « savoir qui répond, comment, et de se tenir au courant. »

De ce point de vue, l’année passée a marqué des progrès sensibles : nombre de confrères, de Paris ou de l’étranger, ont collaboré avec le médiateur, ne rechignant pas à s’expliquer, à expliquer aux auditeurs. Ce fut toujours un plaisir confraternel et professionnel de ressentir cette conviction que partagent la grande majorité des journalistes de RFI : offrir au public le meilleur d’eux-mêmes dans la recherche de la bonne information. Les refus de coopération, qui existent, restent isolés. Un moment tenté, le médiateur ne dénoncera pas.

Même si l’enjeu, pour lui, reste de pousser le média à tenir la promesse de la crédibilité.

Même si demeure, pour lui, le sentiment de relativité de son impact énoncé l’an dernier.

« Ce qui reste absolu, en revanche, c’est la conviction que l’institution du médiateur « peut jouer un rôle éminent, parmi d’autres dispositifs, mais autant que d’autres, dans « la « maintenance » de la rigueur professionnelle, et dans la garantie de la promesse « éditoriale. »

C’est dire si restent d’actualité les recommandations visant à faire de tous les confrères des « médiateurs » dans leur métier, en faisant preuve d’empathie vis-à-vis du public, en pratiquant le détachement de soi pour apprendre à « penser contre soi », ou au moins « hors de soi », en s’exprimant dans la simplicité de l’expression, qui n’est pas le simplisme, en s’attachant au pluralisme, au refus de l’ ethnocentrisme politique ou culturel, au souci de l’interculturalité, au refus des généralisations, des préjugés, de l’impérialisme culturel. Tout ceci dans la modestie, en utilisant l’interactivité des nouveaux médias, et en pratiquant une  solidarité professionnelle, qui n’est pas le corporatisme, ni l’esprit de corps chauvin, mais l’esprit d’équipe, avec la responsabilité particulière qui implique de corriger, rectifier, améliorer sans cesse.

C’est l’esprit de médiation, tout entier, qui doit gagner le corps journalistique de RFI.

III.3. Interne ou externe ?

            Jusqu’à présent, les deux présidences de RFI qui ont eu à désigner un médiateur, ont recherché

-         l’expérience journalistique, en faisant appel à des professionnels en fin de carrière

-         la dimension éthique, en faisant appel à des professionnels ayant développé une expertise en la matière

-         l’expérience gestionnaire, en faisant appel à des professionnels ayant dirigé des rédactions et des médias

-         l’indépendance, en faisant appel à des professionnels extérieurs à RFI, n’y ayant jamais travaillé précédemment.

Le médiateur en exercice aurait mauvaise grâce à contester ces critères de choix.

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Il n’en reste pas moins vrai que la désignation d’un médiateur issu de l’entreprise elle-même, comme c’est souvent le cas dans d’autres médias, et pour peu que cela ne traduise pas une décision de « mise au placard » déguisée ou une attribution de « retraite dorée » anticipée, présenterait aussi des avantages :

-         la connaissance détaillée, si l’on ose dire intime, des structures, des méthodes, des spécificités du média, et de son public comme de ses journalistes

-         la dimension internationale de la capacité d’intervention, par nature spécifique à RFI, voire à l’audiovisuel extérieur

-         l’autorité naturelle auprès des rédactions susceptible d’être conférée par une carrière « sans peur et sans reproches » menée dans le média lui-même.

Trancher entre  les deux options est précisément la responsabilité majeure de la direction de l’entreprise. Ensuite, c’est au médiateur d’assumer ses responsabilités propres en toute conscience et indépendance, vis-à-vis de la direction elle-même. Sur ce point, les deux présidences précédentes ont été claires et irréprochables.

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Une nouvelle période de la vie de RFI s’ouvre à présent avec la réorganisation de l’audiovisuel extérieur de la France.

Les intentions des nouveaux dirigeants de ce nouvel ensemble, en matière de médiation, ne sont pas encore connues.

La période précédente avait voulu une médiation « modeste » (trop modeste ?), dans son comportement comme dans ses moyens.

Il appartient aux nouveaux responsables d’en définir le cadre, les objectifs et les moyens, d’en désigner le ou les acteurs, puis, cela fait, de garantir l’indépendance de la fonction, y compris vis-à-vis d’eux-mêmes.

Loïc Hervouet