Le poids des mots et des nuances

                    Ce n'est pas à priori une critique virulente, que nous adresse Bernard Jeufroy, auditeur de Paris, mais une de ces analyses subtiles qu'affectionne le médiateur, car elles obligent à la réflexion, et nous rappellent que dans l'emploi des mots, bien des nuances sont à prendre en considération.

                    Voici donc ce que notre auditeur présente comme une « proposition » concernant la rédaction des journaux, « à l'usage des commentateurs, envoyés spéciaux etc. à qui vous serez bien gentils de soumettre cet avis ».

                    « Je relève une expression toujours utilisée par de très nombreux journalistes dans divers médias dont RFI, expression quasiment consacrée, à propos des attentats kamikaze [pas d'ambiguité, les journalistes de RFI sont ceux que je préfère, ce n'est pas une critique mais une suggestion].

                    « La voici : à propos d'un attentat tel jour dans telle ville, on dit qu'un terroriste kamikaze "s'est fait exploser ". Cette formulation est subjective (comme "à cause de" est connoté subjectivement par rapport à "en raison de"), elle crée un cerne autour de l'auteur de l'acte, en désignant le responsable, tend à le montrer du doigt. On peut m'opposer qu'il n'y a aucune indulgence ou excuse ou neutralité même possibles envers ce qu'on est en droit de considérer comme un crime.

                    « Mais mettre la focalisation sur la transgression d'un seul comporte un inconvénient. Cela gêne la vision d'un autre pan de la réalité. En disant plutôt "a fait exploser sa charge", l'usage du mot charge induit l'idée d'une mission qui lui a été dévolue. Elle ouvre le regard, lui permet d'entrevoir davantage : les complicités qui l'ont préparé, le poids, la pression qu'il a subis de la part d'autres personnes, loin d'être innocentes du désespoir et de la tragédie où il a été conduit (ou forcé comme victime).
                    A considérer que la motivation d'un pareil acte ait une justification, il me semble que l'expression que je suggère est de toute façon mieux appropriée. Bien sûr c'est à l'appréciation de chacun. Mais ça vaut le coup d'y réfléchir car, décidément selon moi " s'est fait exploser " relève vraiment d'un lieu commun qui bloque l'analyse. Cordialement. »
 

                    Coupure de cheveux en quatre? Pas si sûr... En tout cas mieux vaut prendre quelques secondes à réfléchir sur l'emploi des mots que d'en user, si l'on ose dire, à la mitraillette.

Loïc Hervouet, médiateur

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