Le Pape, RFI et les auditeurs

 

RFI a largement rendu compte de la visite du Pape Benoît XVI au Cameroun et en Angola, du 17 au 23 mars 2009. Ce qui lui a valu, de la part des auditeurs et des internautes, une volée de bois vert. Ceux qui ont écrit, ou téléphoné, se sont plaint d’une couverture partiale, voire malhonnête, de l’événement. Bien sûr, ce sont les mécontents qui se manifestent, et ils ne représentent pas la majorité de l’auditoire. Ils n’en sont pas moins parfois pertinents.
 
Une première série de réactions porte sur la relation des propos du pape concernant la distribution du préservatif en Afrique. En voici quelques extraits :
 
 « Il serait mieux pour éclairer le monde et ces milliers de personnes qui n’ont pas eu connaissance du message papal, de le lire en entier, il ne fait que quelques phrases… » (Jean-Pierre, à Bangui, en République Centrafricaine ;
« J’aurais aimé une retranscription fidèle de l’information ( …) Il faut lancer le débat sur des bases exactes en relatant les faits tels qu’ils se sont passés » (Patrick, de Paris) ;
« Les gens et surtout les médias n’ont voulu retenir (mauvaise foi ???) que la phrase « au contraire ils aggravent le problème »…C’est dommage, franchement ! (…) Si l’on prend le reste des propos du Pape, je suis d’accord avec lui » (Khady, de Ouagadougou, au Burkina Faso) ;
« Les propos du souverain pontife ont été sortis de leur contexte et mal rendus » (anonyme en France) ;
« J’espère que vous allez faire la part des choses sur la véritable pensée du Pape et sur ce que la polémique lui attribue abusivement » (Julien, de Paris) ;
« Les propos du Pape ont été volontairement – ou inconsciemment – déformés par des professionnels des médias » (Carmel, d’Abidjan, en Côte-d’Ivoire) ;
« Je suis consterné par la capacité des médias à transformer les propos et à polémiquer » (Sosthène, de Yaoundé, au Cameroun) ;
« Il serait temps qu’on soit attentif à élucider le contenu et la portée du message du Pape plutôt que de se limiter à le caricaturer » (Marco, de Libreville, au Gabon) ;
« Il semble que vous n’ayez pas lu la déclaration du Pape Benoît XVI (…) C’est de la désinformation, de la médisance et même de la calomnie (…). Au nom de la vérité et du droit des auditeurs à être correctement informés, je vous demande de faire un rectificatif sur le sujet en donnant le texte exact de la réponse du Pape à la question du journaliste » (Pierre, de Lourdes, en France).
 
Précisons donc les circonstances dans lesquels le Pape s’est exprimé et le contenu de ses paroles :
1)      C’est dans l’avion qui le conduit au Cameroun, mardi 17 mars en fin de matinée, que Benoît XVI répond à la presse. Les journalistes ont fait parvenir, plusieurs jours auparavant, leurs questions. Six ont été retenues, dont une, concernant le sida. Le Pape n’est donc pas surpris, ni piégé par un journaliste. Il a préparé sa réponse, même s’il ne la lit pas.
2)      Il est vrai que sa réponse ne porte pas seulement sur le préservatif. Il insiste d’abord sur le rôle que l’église catholique joue sur le front de la lutte contre le Sida et auprès des malades. Et il développe sa « solution » à la propagation de la maladie, qui est « un double engagement : le premier, dans une humanisation de la sexualité, c’est-à-dire un renouveau spirituel et humain qui implique une nouvelle façon de se comporter l’un envers l’autre, et le second, une amitié vraie, surtout envers ceux qui souffrent, la disponibilité à être avec les malades, au prix de sacrifices et de renoncement personnels ». Humaniser la sexualité : RFI rend compte de cette préoccupation, dès la mi-journée du 17 mars, par la voix de son correspondant au Vatican, présent dans l’avion. Ensuite, de cette déclaration, ce sont les propos sur le préservatif qui sont surtout retenus.
3)      Quels sont ces propos ? Dans l’avion, le Pape dit, en italien : « s’il n’y a pas l’âme, si les Africains ne s’aident pas, on ne peut le résoudre (le problème du sida) en distribuant des préservatifs. Au contraire, ils augmentent le problème ». (Geneviève Delrue a fait entendre ce passage en italien dans son émission « Religions du Monde », dimanche 22 mars. Une excellente idée !) Plus tard, le Vatican diffuse la version officielle des propos tenus par Benoît XVI dans l’avion. Ils sont légèrement modifiés, et la portée en est un peu atténuée : « au contraire, cela risque d’augmenter le problème ».
 
Deux remarques s’imposent :
-         Si les journalistes ont surtout retenu le passage sur le préservatif, c’est qu’il était le plus inattendu. Le Pape Jean-Paul II ne prononçait pas le mot. Le métier de journaliste n’est pas de lire in extenso un communiqué, un discours ou des extraits de conférence de presse, mais de signaler ce qui est neuf, qui peut faire événement.
-         Ce qui pose problème, c’est la phrase « au contraire…. » qui peut prêter à interprétation. Des journalistes, y compris à RFI ont ainsi résumé – à tort – le propos : « l’utilisation du préservatif aggrave le problème ». La nuance est mince, mais importante. Cette formulation peut accréditer l’idée (fausse mais encore répandue) que le préservatif ne protège pas contre la contamination.
 
D’autres auditeurs reprochent à certains journalistes de RFI d’avoir été partisans dans leur travail.
C’est le cas de Lewis, de Yaoundé, au Cameroun : « Je pense tout d'abord que les journalistes se focalisent trop sur les déclarations que le Pape à fait dans l'avion qui le menait au Cameroun, et qu'ils font passer (injustement) au second plan l'accueil que le peuple Camerounais a réservé au souverain pontife. Car je pense que la liesse populaire qui s'est emparée du Cameroun depuis l'arrivée du pape reste le fait le plus marquant jusqu'à présent.
Quant aux déclarations proprement dites, il serait intéressant de les remettre dans leur contexte pour mieux en apprécier la portée. Le pape parle en tant que représentant de la religion chrétienne et de son système de pensée (…) Le pape ne dit pas : " Ayez des relations sexuelles sans préservatifs". Il dit tout simplement : " Le sexe est quelque chose d'important, et la meilleure façon d'éviter le sida est un comportement responsable". Il est vrai que le message peut avoir beaucoup de mal à se faire comprendre de nos jours, cependant il ne faut ni le déformer, ni en atténuer la valeur.
PS : Je ne suis ni un catholique convaincu, ni un fervent croyant ».
L’auditeur a raison de souligner qu’il ne faut pas isoler le propos du Pape, ni oublier qui il est. Alain Génestar le rappelait avec justesse ce week end dans son éditorial politique, sur RFI. Lewis oublie en revanche que de très nombreux reportages et papiers sur l’antenne ont évoqué d’autres aspects du voyage de Benoît XVI.
 
Plus sévères, quelques internautes critiquent l’article publié sur le site de RFI, titré « Le pape Benoît XVI acclamé à Yaoundé » :
« Ce n’est en rien surprenant que les Camerounais adhèrent en masse au message du Pape dans son intégralité (…) Si être conservateur c’est remettre l’homme africain au centre des préoccupations et l’aider à devenir acteur de son destin sans attendre l’aide des autres, et bien c’est une fierté » (Marlyse, de Yaoundé, au Cameroun) ;
« Une allusion au préservatif par paragraphe…ça résume la visite du Saint Père ? » (Julien, en France) ;
« Avant de dire que les déclarations du Pape ne répondent pas aux réalités et sont inadaptées, il faut se renseigner, car les pays d’Afrique où le sida régresse sont ceux où l’on a mis en place un programme de fidélité entre l’homme et la femme » (anonyme de France).
 
Pour sa part, Louis, auditeur au Togo, reproche à des journalistes de RFI l’utilisation de certains qualificatifs : « Benoît XVI, ce Pape traditionnel… » ;  ou encore cette phrase, prononcée par un présentateur : le Pape est « décidément sur une ligne très conservatrice… ».
Pour Louis, « les journalistes ont absolument le droit d’avoir des opinions personnelles mais quand on fait de l’information, on s’abstient d’avancer ses opinions personnelles». Et de souligner que certains propos peuvent être « blessants pour les croyants ». La remarque est juste : le choix de certains adjectifs, adverbes ou formules équivaut à un certain parti pris. Ou peut le laisser penser.  
 
Il ne me revient pas de juger sur le fond les points de vue des auditeurs et des internautes, qui méritent évidemment débat, au même titre que les propos du Pape. Je pense en revanche que nos interlocuteurs ont raison de pointer un défaut journalistique qui consiste à mêler relation des faits et commentaires personnels.
 
Soyons juste envers les journalistes de RFI : ces critiques ne doivent pas masquer la réalité de la couverture de cette visite papale : richesse des reportages, recueil de nombreuses paroles d’Africains, compte rendu de tous les aspects du déplacement du Pape, éclairages et analyses de plusieurs invités… Notre auditeur du Togo nous le dit aussi, au début de son courriel : « RFI a permis à des millions d’auditeurs de suivre le voyage du Pape en Afrique. Merci pour cette couverture ».
 

3 Comments

Pour prendre la mesure réelle des propos tenus "en off" par le souverain pontife dans l'avion, le dernier numéro du magazine La Vie apporte des éléments intéressants.

Le traitement de la première visite africaine du Pape Benoît XVI est un gâchis et un viol inacceptable de l'opinion. Il est tout simplement incroyable que des propos tenus dans un avion et non au Cameroun, soient devenus le point de fixation de la presse occidentale tout au long d'une semaine.
Vu d'Afrique, cet acharnement à ne pas voir ce qui est positif dans ce continent traduit malheureusement, une fois de plus, la tendance néocolonialiste rampante dans le traitement de l'information africaine par les médias occidentaux. Plus encore, ce soi-disant débat sur le préservatif est la traduction flagrante de la collusion entre les médias occidentaux dont Rfi et les fabricants de préservatifs qui sont par ailleurs de grands annonceurs de ces médias.
L'Afrique de papa, c'est fini. Le Pape Benoît XVI n'a causé aucun tort à l'Afrique par ses propos. Bien au contraire, c'est une invite à une discipline sexuelle dans un environnement où l'imitation servile des comportements sexuels venus d'ailleurs aggrave la propagation du sida.
Et au fond, le préservatif soigne-t-il le sida? Non est la réponse. C'est tout juste une réponse parmi tant d'autres pour la prévention de la maladie.

[Un mot de la médiatrice : ce commentaire est outrancier et injuste : RFI a rendu compte de la visite du Pape sous tous ses aspects, bien au-delà de la polémique sur le préservatif. Et RFI n'a aucune relation d'aucune sorte avec les fabriquants de préservatifs! Mais ce point de vue est intéressant, pour ce qu'il révèle de la sensibilité d'une partie de l'auditoire de RFI. Dominique Burg]

Mon commentaire concerne bien entendu le passage du Pape en Afrique.
(...)Je ne veux pas être un défenseur acharné du Pape. Mais je pense que le débat pour ou contre est faux. Le débat touche un problème philosophique et politique : le nœud du problème je crois c'est de repenser notre conception de la sexualité: allons-nous toujours continuer à défendre une sexualité sans limite et ce même en dehors de l'Europe ? La façon dont les médias ont récupéré la situation et la façon dont les organismes et hommes politiques occidentaux s'en sont mêlé prouve une fois de plus leur ingérence outrancières dans les affaires africaines.
C'est là pour moi le noeud du problème et il suffisait de bien comprendre le Pape. Il fallait calmer nos tendances devenues presque habituelles de le juger avec beaucoup de préjugés, fût-il un homme intelligent mais peu doué en communication.merci !

[Un mot de la médiatrice : cet auditeur reproche aux médias occidentaux, et donc à RFI, de s'ingérer dans les affaires africaines en se faisant les défenseurs de la liberté sexuelle. Il s'agit d'un point de vue subjectif, et contestable, partagé par d'autres auditeurs, et qui, me semble-t-il, mérite d'être entendu. Dominique Burg. ]

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