Paroles de politiques, parole de journaliste

L’épisode du pardon de Ségolène Royal à José Luis Zapatero ne mériterait pas un froncement de sourcil de la médiatrice s’il ne mêlait pas, dans une confusion bien ordinaire, les responsabilités des uns et des autres. Et si les auditeurs n’avaient pas réagi – les uns pour soutenir, les autres pour accabler Ségolène Royal – en se fondant sur une réalité somme toute assez floue. L’affaire est intéressante en ce qu’elle confronte trois modes de fonctionnement, trois pratiques : journalistique, politique et citoyenne. RFI, comme la plupart des médias audiovisuels, n’en a pas suffisamment expliqué la genèse.

Mercredi 15 avril, le président de la République reçoit à déjeuner une vingtaine de parlementaires (députés et sénateurs de tous bords politiques) membres d’un groupe de travail sur la crise financière. C’est la troisième rencontre de ce type. Au cours du repas, Nicolas Sarkozy fait des réflexions sur certains dirigeants européens et américain qu’il à côtoyés au G20 de Londres, la semaine précédente. Jeudi 16 avril, le journal Libération rend compte du déjeuner, en citant, entre guillemets, quelques propos présidentiels. Notre confrère, qui n’était bien sûr pas sous la table, a-t-il eu raison de le faire ? Oui, bien évidemment. Il est dans la fonction du journaliste de révéler ce qui se passe et ce qui se dit, même dans une enceinte fermée à la presse. Pour être honnête et fiable, l’exercice suppose : 1) de recueillir l’information auprès des participants à la réunion, et de la recouper : un seul témoignage ne suffit pas à valider un dire. Libération dit avoir agi ainsi. Plusieurs parlementaires ont confirmé les propos. 2) d’exposer le contexte et le sens de la citation. Il est clair qu’un bout de phrase écrite dans un journal peut trahir la portée d’une conversation. En l’occurrence, Libération a fait son travail. Voici l’extrait de son article : …le président de la République ne résiste pas à informer ses convives que « le gouvernement espagnol vient d’annoncer la suppression de la publicité sur les chaînes publiques. Et vous savez qui ils ont cité en exemple ? » « On peut dire beaucoup de choses sur Zapatero », remarque Emmanuelli (Henri Emmanuelli, député socialiste) « Il n’est peut-être pas très intelligent. Moi j’en connais qui étaient très intelligents et qui n’ont pas été au second tour la présidentielle » s’amuse Sarkozy en allusion à Lionel Jospin ».
Entrent alors en scène l’Elysée, qui dément les propos prêtés au chef de l’Etat ; la presse européenne et notamment espagnole, qui s’offusque ; et Ségolène Royal qui écrit au chef du gouvernement espagnol pour lui « présenter des excuses contre les propos injurieux tenus par Nicolas Sarkozy ». Tous prenant le « il n’est peut-être pas très intelligent » au premier degré. Alors que très probablement, comme le disait le directeur de Libération, Laurent Joffrin, sur RFI, le chef de l’Etat parlait « par antiphrase », pour ironiser sur les socialistes français. Quant au lecteur, et à l’auditeur, il lui restait à commenter le commentaire du commentaire…
Cette histoire là, comme d’autres, à une morale : aucun responsable politique, a fortiori le chef de l’Etat, n’est à l’abri d’une indiscrétion, d’une fuite, encore moins d’une interprétation et d'une utilisation politique de ses propos. Il n’y aurait pas eu cette (petite) affaire si Nicolas Sarkozy s’était abstenu… S’il avait « tamisé ses paroles au tamis de sa langue » comme le lui suggère joliment un de nos auditeurs.
Les journalistes, eux, courent en permanence le risque d’être manipulés, instrumentalisés, happés dans la mayonnaise qui monte, qui monte… Et surtout d’être mal perçus, mal compris, dans la grande bousculade des événements et des déclarations. Les quelques papiers faits à RFI sur la polémique Sarkozy-Royal ont suscité par exemple ces deux réactions diamétralement opposées : « Je ne comprends pas pourquoi RFI tape sur Ségolène Royal encore », écrit Bruno, tandis que Paul accuse RFI de « sauter sur toute info hostile à Sarkozy »…. Il faudrait pouvoir s’arrêter, revenir en arrière, décortiquer les mots, expliquer, décrire le contexte et donner du sens. Mais ce type de démarche, dans un journal, sur une radio, n’est pas dans l’air du temps, ce temps d’aujourd’hui, qui s’affole et s’accélère. Dommage. 
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