Peur sur les ondes

Quinze jours d’inquiétude, d’alertes et d’alarmes : une catastrophe annoncée…Pandémie, planète infectée, morts par millions…Masques, confinement, quarantaine, mains lavées souvent, au moins pendant 30 secondes chaque fois, le voisin qui tousse, le mouchoir en papier, la fièvre, à saute-mouton par dessus les frontières… Le virus de la grippe A H1N1 a-t-il contaminé d’abord les journalistes, affolés devenus affolants ? Les auditeurs se posent la question. Nous nous la posons. Essai de décryptage d’une aventure sanitaire et médiatique d’aujourd’hui.

 
La réalité, d’abord : nous n’avons pas rêvé, nous n’avons rien inventé. Il y a bien un drôle de virus, à la composante iconoclaste, qui a infecté plusieurs centaines de personnes, dans 24 pays au moins, et en a tué 44, dont 42 au Mexique et 2 aux Etats-Unis (bilan de l’OMS du 7 mai 2009). Cette grippe d’un genre nouveau, clairement détectée, et nommée, le 24 avril, met en jeu très vite trois acteurs, et trois logiques : sanitaire, politique, médiatique.
 
L’OMS, l’organisation mondiale de la santé, et ses 193 membres, a pour fonction de coordonner les situations d’urgence sanitaire, et d’éviter les pandémies, ces épidémies qui affectent ou peuvent affecter tous les pays de la planète. L’OMS a déjà été confrontée à des périls sérieux, notamment la grippe aviaire. Sa réactivité est forte. Le 25 avril, elle établit l’alerte au niveau 5, sur une échelle qui en compte 6. En clair, pandémie imminente… Sa directrice générale, Margaret Chan, commente : « Je préfère un excès de préparation que l’inverse ».
 
Les responsables politiques, nos gouvernants, ont en charge la sécurité de leurs citoyens. Ils appliquent eux aussi le principe de précaution. Il faut dire qu’en France notamment, des accidents sanitaires terribles et meurtriers, comme l’hormone de croissance et le sang contaminé par le virus du Sida, ont profondément traumatisé les femmes et les hommes politiques. Conscients de leurs limites, conscients aussi des risques judiciaires encourus. Voilà donc nos ministres en première ligne, réunions, interventions, mises en garde…
 
Et les journalistes ? Ils répercutent tout cela, bien sûr, très vite et abondamment. C’est leur rôle. L’information, c’est aussi de l’information pratique, de l’information « service » comme l’on dit dans notre jargon. Transmettre les conseils, les consignes, les appels des autorités. Une radio de service public comme RFI ne renverra pas chez eux les journalistes, si une catastrophe sanitaire se produisait. Ils seront à l’antenne, malgré le risque, et ils le revendiqueront, sans aucune hésitation.
Mais l’honnêteté oblige à dire que cette grippe au drôle de nom, A H1N1, c’est le genre d’événement que croquent avec gourmandise les journalistes : du nouveau, du très nouveau, du mystère, du danger, et tellement de gens potentiellement concernés. On en oublie « la crise ».
Les journalistes font donc leur travail d’informateurs. Sans toujours percevoir la portée de leurs interventions : dans des radios comme RFI, chaque heure, chaque demi-heure, sont rapportés les communiqués de l’OMS, les déclarations de Roselyne Bachelot, la ministre de la santé, le bilan des malades de Mexico, les craintes espagnoles, les paroles d'experts, la stigmatisation injuste du cochon… La répétition agit comme un amplificateur de la dramatisation. Mais comment l’éviter? Si un auditeur n’écoute que le journal de 12H, et si ce journal, ce jour là, ne dit rien de la grippe A H1N1, cet auditeur serait en droit de nous demander des comptes.
 
RFI, comme les autres journaux, radios, télévisions, en a-t-elle trop fait, a-t-elle accordé trop d’importance à cette grippe ? Probablement, mais on ne pourra l’affirmer avec certitude que plus tard.
Pouvait-elle faire autrement ? Probablement pas.
Le monde d’aujourd’hui n’est pas seulement celui de l’accélération des échanges humains. Il est celui d’une circulation ultra-rapide de l’information. On sait, et on dit.
Le monde d’aujourd’hui, en tout cas le monde occidental et européen, est en même temps un monde frileux. Il accepte de moins en moins la prise de risque.

Le philosophe Marcel Gauchet s’interroge, dans le journal Libération du 28 avril : « Quel est le sentiment qui domine nos sociétés ? La peur. Une épidémie qui menace, c’est le branle-bas général. Les médias en rajoutent dans le matraquage hystérique. Mais ils ne se trompent pas de cible. C’est bien ce dont leur public veut entendre parler. Le sentiment d’insécurité est inépuisable ». RFI et ses auditeurs ne se reconnaîtront peut-être pas totalement, dans ce propos. Il ne nous interpelle pas moins, nous journalistes, nous citoyens. 

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