Information de guerre et guerre de l'information

 

Pour marquer les dix ans de sa création, l’Institut français de géopolitique (université Paris8) avait décidé d’explorer cette nouvelle forme de rivalité géopolitique centrée sur l’information, dans un débat organisé en partenariat avec le journal Le Monde et auquel participaient deux journalistes : Alain Frachon (Le Monde) et Olivier Da Lage (Rfi). Passionnant.
 
« La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre », écrivait Yves Lacoste en 1976, un titre provocateur pour un livre destiné, selon lui, à sortir la géographie de sa situation, à l’époque, de simple matière scolaire. Opération réussie et acte fondateur d’un nouveau champ d’étude pluridisciplinaire : la géopolitique. Un mot dont les journalistes s’emparent immédiatement et qu’ils popularisent, au long des conflits qui marquent les dernières années de la guerre froide entre Est et Ouest. La géopolitique observe les représentations dans les conflits autour de territoires bien définis. Elle fait appel à la géographie physique mais aussi à l’histoire des peuples et des territoires, à leur sociologie, à leur économie, à leur culture. Et elle permet en particulier aux journalistes de mieux appréhender les conflits et donc, de mieux les raconter.
 
Exemple : la cartographie. En décrivant le territoire du conflit avec précision, on peut cerner au mieux les enjeux. C’est ainsi que dans une carte dressée pour le journal Le Monde, la cartographe Delphine Papin montre que le véritable enjeu du conflit entre nord et sud Soudan n’est pas le pétrole, ou en tout cas pas uniquement, mais aussi le contrôle des immenses pâturages de la région. De même, une cartographie fine de la ville d’Alep sous les bombes de l’armée syrienne montre que ce sont surtout les quartiers pauvres qui sont visés, et les quartiers riches épargnés, indépendamment des origines religieuses ou ethniques.  Des cartes que l’on peut bâtir non seulement avec les observations satellitaires, mais aussi avec les informations de terrain, obtenues en temps réel, grâce aux réseaux sociaux. Voilà quelque chose qui peut changer, pour les journalistes, la manière de couvrir les évènements chauds de la planète. Alain Frachon (Le Monde) a d’ailleurs relevé que ces réseaux sociaux (Facebook, Twitter) ont joué un rôle de premier plan dans le soulèvement des populations lors du Printemps arabe. Grâce à eux, des milliers d’individus « connectés » mais non regroupés politiquement se sont finalement retrouvés à Alexandrie, au Caire ou à Tunis pour clamer leur ras-le bol. « Mais », ajoute aussitôt le journaliste du Monde, « s’ils réussissent à canaliser les mécontentements », et même parfois à mobiliser de nouveaux partisans, comme pour l’élection de Barack Obama aux États-Unis en 2008, « les réseaux sociaux n’aident pas à conquérir le pouvoir. Cela reste l’affaire des structures verticales », comme les partis politiques ou l’armée, on le voit bien dans les deux cas tunisiens et égyptiens où ce pouvoir se partage aujourd’hui entre les militaires et une organisation islamiste.
 
La cartographie, les révolutions, les réseaux sociaux touchent donc à tout. Conséquence de cette immédiateté de l’information, on voit désormais apparaître de nouveaux acteurs locaux de l’information, ceux qu’Olivier Da Lage (Rfi) appelle des « journalistes citoyens ». Cela peut-être n’importe qui, pourvu qu’il soit témoin d’un évènement dont il sera le relai auprès des media grâce à son téléphone, sa tablette ou son ordinateur connecté. « C’est bien » ajoute notre confrère « car cela multiplie les sources mais cela pose immédiatement un problème de crédibilité et d’éventuelle manipulation ». En effet, et c’est là que le savoir-faire du journaliste professionnel prend tout son sens car c’est lui qui, en recevant cette information nouvelle, devra la vérifier, la recouper, et donc la crédibiliser. Et donc, le journaliste citoyen ne va pas de soi même si, souligne Olivier DaLage, « la réduction des budgets dans les rédactions favorise l’utilisation de ces nouveaux intervenants, tout autant d’ailleurs que des indépendants, que l’on appelle « free-lance » dans le monde anglo-saxon et « pigiste » dans l’univers francophone.
 
La couverture des guerres et des grands évènements mondiaux est donc en pleine évolution. Et, pour le journaliste, se posera de plus en plus la question de la multiplication des sources, de leur véracité, étant entendu qu’une autre guerre se joue parallèlement : celle entre journaux, entre radios ou entre télévisions, pour être le premier à donner la bonne information, celle qui jouera peut-être un rôle essentiel dans l’évolution d’un conflit ou d'une situation dramatique.

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